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Le 31 octobre 2007

Accord de Cotonou : la CÉmac risque d’être exclue du jeu*

* Cet article a été précédemment publié dans Marché Tropicaux et Méditerranéens, vendredi 22 février 2002, n° 2937, pp. 402-403 .

par Aimé D. MIANZENZA, Économiste

Cet article explore le contexte, pour la Cémac, crée par l’Accord UE-ACP (Union Européenne – Afrique-Caraïbes-Pacifique) de Cotonou. Il tire la sonnette d’alarme : l’Afrique centrale a pris un retard tel que sa marginalisation risque d’être irréversible dans un système commercial post-Lomé.

Depuis 1975, l'Union européenne (UE) et le groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), étaient liés par la Convention de Lomé, un accord de coopération qui combinait aide au développement et préférences commerciales. Dans ce cadre, 92% des produits originaires des pays ACP importés dans l'Union Européenne étaient exemptés de droits de douane; ils n'étaient soumis à aucune limite quantitative. En comptant les produits agricoles soumis à contingent tarifaire à droit nul, 99% des produits ACP étaient ainsi libéralisés. Pour les produits agricoles des chapitres 1 à 24 de la nomenclature combinée, 80 % des exportations ACP sont complètement libéralisées. Pour les produits industriels des chapitres 25 à 97 de la nomenclature combinée, Lomé accorde l'exemption tarifaire à l'ensemble des produits.

La Convention de Lomé a été remplacée par la Convention de Cotonou en juin 2000. L'Union Européenne a profité du renouvellement de Lomé pour introduire des changements fondamentaux dans ses relations avec ses partenaires du Sud. Dans la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac), des voix se sont élevées pour dénoncer cette évolution perçue comme une « trahison » de plus de la France après le réajustement monétaire intervenu en janvier 1994.

Comme pour la dévaluation du franc CFA, ces pays semblent avoir été surpris par le démantèlement du système de préférences commerciales (SPC) alors que celui-ci a démarré avec l'Uruguay Round comme l'a montré la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et Développement) en 1994. Le SPC a été l'objet d'attaques constantes de la part des Etats-Unis et des pays en développement non-ACP (notamment sud-américains). Les pays ACP étant tous membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ils devaient savoir que le SPC de la Convention de Lomé était non conforme aux règles de cette institution en raison de son caractère discriminatoire et non réciproque.

La Cémac et le marché de l'Union européenne

La Cémac est née en 1998. Elle a succédé à l'Union Douanière et Economique d'Afrique Centrale (UDÉAC) instituée par le Traité de Brazzaville du 8 décembre 1964. Cette institution avait pris le relais de l'UDE (Union Douanière et Économique) créée en 1958 par le Congo, le Gabon, la République Centrafricaine (RCA) et le Tchad. Le Cameroun a rejoint le, groupe en 1962 et la Guinée équatoriale en 1984. L'ensemble compte une population de près de 33 millions d'habitants en 2000 pour une superficie de 3,02 millions de km2. Son objectif était d'établir un espace économique capable d'impulser un développement économique solidaire et de créer des pôles de développement simultanément à l'intégration des économies nationales.

Les produits de la Cémac qui bénéficient des marges préférentielles (MP) les plus significatives sur le marché européen sont le beurre de cacao (MP = 5,4 %) et le contreplaqué (MP = 4,9 %). Pour la période 1995-1998, le Cameroun détient 23 % de part de marché européen de beurre de cacao tandis que le Gabon'et le Congo détiennent respectivement 38 % et 3 % du marché de contreplaqué.

En 2000, les principales exportations de la Cémac en Europe proviennent du Cameroun (1 185 millions d'euros), du Congo (880 millions d'euros) et du Gabon (750 millions d'euros).

Un autre élément important est le taux de croissance des exportations selon la marge préférentielle. De 1988 à 1997, la croissance en volume des exportations totales est de moins 17,3 %, celle des exportations de produits à MP supérieure à 3 % est de 23,6% alors que leur part est évaluée à 5,5 % du total des exportations de la Cemac.

La Cemac et le démantèlement du SPC

Les « Accords de Partenariat Économique » (APE) qui remplacent le système des préférences non réciproques sont des accords de libre-échange entre l'Union européenne et des groupes régionaux Afrique-Caraïbes-Pacifique tels que le Caribbean Community and Common Market (Caricom), l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa), la Cémac, etc.

Trois raisons principales expliquent le changement, décidé par la Commission européenne et les Quinze :

  • réformer le système de préférences commerciales, celui-ci ayant largement montré son inefficacité,

  • se conformer aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ;

  • supprimer la discrimination entre les Etats ACP ; en effet, ces derniers sont classés en PMA (pays les moins avancés) et non-PMA.

A terme, on estime que 90 % au moins des importations intra UE-ACP ne seraient plus soumises aux tarifs douaniers et qu'aucun secteur ne sera totalement laissé de côté. Les produits de la Cémac pourront entrer dans l'Union européenne en franchise totale; par surcroît, les exportations des pays les moins avancés de la zone (Guinée équatoriale, RCA et Tchad) à destination de l'Union européenne vont continuer à bénéficier de l'exemption des tarifs douaniers du fait du Système des Préférences Généralisées (SPG).

Selon la Commission européenne, alors que la marge préférentielle (MP) sur l'ensemble des exportations de la Cémac à destination du marché européen est de 0,3 %, elle passe à 6,1 % sur les exportations non libéralisées en cas de système des préférences généralisées alors que la part théorique des exportations sous ce régime est évaluée à 5,4 %. En considérant les non-PMA de la zone, en 1997, les exportations non libéralisées sous le Système des préférences généralisées sont estimées pour le Cameroun à 235 millions d'euros (soit 20 % total), le Gabon à 18 millions d'euros (2 % du total) et le Congo à 7 millions d'euros (1 % du total). Quand à la perte de préférence hors protocoles, elle est estimée pour le Cameroun à 0,5 % sur le total des exportations et 2,4% sur les exportations non libéralisées sous le Système des préférences généralisées, pour le Gabon à 0,1 % sur l'ensemble des exportations et 3,3 % sur les exportations non libéralisées sous le Système des préférences généralisées. Pour le Congo la perte est nulle sur le total des exportations alors qu'elle atteint 2% sur les exportations non libéralisées sous le Système des préférences généralisées.

En définitive, la perte de préférence globale sur le total des exportations à destination du marché de l'Union européenne est de 6,5 % pour le Cameroun, 0,1 % pour le Gabon et 1,0 % pour le Congo.

L'impact du démantèlement du SPC devrait être positif pour la banane (155 000 tonnes en 1997, soit 94 millions d'ECU), le cacao et l'aluminium du Cameroun. En effet, sans l'accord de partenariat économique régional, la banane camerounaise serait soumise au retrait du protocole de Lomé; elle serait effectivement exclue de l'Union européenne. Or, en 1996, elle représentait 97 millions d'ECU, soit 75% environ de la production est exporté vers l'Union européenne et 12 000 emplois directs au Cameroun.

Coûts des ajustements pour les États membres de la Cémac

L'instauration d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique risque également de produire deux phénomènes: une plus grande pénétration des produits européens des marchés de la Cémac et un manque à gagner fiscal. En effet, la baisse des tarifs douaniers devrait logiquement conduire à une réduction des prix des produits européens sur les marchés locaux, sous réserve toutefois que cette réduction soit transmise aux acheteurs finals. Dans cette hypothèse les importations en provenance de l'Union européenne vers la Cémac augmenteront principalement en raison d'une hausse de la demande intérieure.

Par ailleurs, le démantèlement des tarifs douaniers devrait se traduire par une perte de recettes budgétaires pour tous les Etats. En 1994-98, les recettes douanières sur les importations constituent 15 % des recettes publiques hors don (RPHD) et 27 % des recettes fiscales hors pétrole (RFHP) dans la Cémac. Ces taux représentent respective- ment 11 % et 16 % pour le Cameroun, 12 % et 34 % pour le Congo, 17 % et 42 % pour le Gabon, 32 % et 34 % pour la RCA, 27 % et 30 % pour le Tchad, 9 % et 18 % pour la Guinée équatoriale.

L'accord de partenariat économique avec l'Union européenne se traduira nécessairement par une perte des recettes douanières. Ce qui aggravera davantage le déficit structurel des finances publiques. Une étude de la Commission européenne montre que pour le Congo, la RCA et le Tchad, les gains des échanges ne compenseront pas les coûts de l'ajustement fiscal. En effet, ces pays importent surtout des produits de luxe pour deux- tiers environ des importations. La tentation sera donc grande pour les États de compenser la perte des recettes douanières par un alourdissement de la fiscalité intérieure, en cherchant à fiscaliser les secteurs qui échappent encore plus ou moins à l'impôt: l'agriculture paysanne et familiale et le secteur informel.

Le remplacement des recettes douanières exigera un changement fondamental du système fiscal et de sa structure. Or, des impôts alternatifs risquent de changer l'allocation des ressources internes en provoquant davantage de distorsions économiques que les tarifs douaniers qu'ils remplacent et donc d'obérer la compétitivité des produits originaires de la Cémac sur le marché international.

La Cémac peut-elle relever le défi ?

La Cémac est tout entière dans une zone de décompression appelée « grande ceinture des crises » qui unit en un bloc l'ensemble des Etats allant de l'Angola au Soudan et à la Somalie. Partout, dans cette région, la guerre et le recours systématique à la violence se sont imposés au point de rendre l'État inexistant et de détruire l'essentiel des infrastructures existantes (D. Darbon, 2000). A l'exception du Cameroun et du Gabon, les pouvoirs politiques sont fragiles dans les autres États. Le Congo, la RCA et le Tchad sont marqués par des déchaînements périodiques de la violence et une certaine ingouvernabilité.

Dans ces conditions les circuits commerciaux, les flux d'investissement et l'activité économique sont très durement affectés par cette situation. Les échanges officiels intra-communautaires déjà très faibles à la création de l'Udéac ont eu tendance à disparaître: 1,6 % des exportations totales en 1998 contre 4,8 % en 1970 (World Development Indicators 2001). Qe même sur la période 1990-1999, seulement 3,1 % des exportations de la Cémac sont allées vers le reste de l'Afrique. La dévaluation du franc CFA n'a pas permis de conquérir de nouveaux marchés à l'exportation en raison du manque de diversification des économies des pays membres à l'exception du Cameroun.

Au niveau international, de 1970 à 1980, les exportations de l'Udéac ont été caractérisées par une croissance; elles sont passées de 0,2 à 0,3 % des exportations mondiales. Après cette période, elles ont amorcé un repli qui a touché le plancher en 1995. Depuis, les échanges extérieurs de la Cémac tournent autour de 0,1 % du commerce mondial.

La Cémac exporte surtout des produits agricoles (15 % environ des exportations sur le marché européen) et du pétrole (80 % des exportations pour le Congo, le Gabon et 33 % pour le Cameroun). Les prix de ces produits sont caractérisés par une très grande volatilité (pétrole) et par une tendance structurelle à la baisse (produits agricoles). La dégradation des termes de l'échange entraînée par cette évolution est estimée à 3 % par an sur la période 1981-1994 pour l'Afrique subsaharienne, ce qui correspond à une perte de revenu en termes de pouvoir d'achat d'importations évaluée à 0,75 % du PIB par an (Y. Jadot, 2000).

L'intégration régionale aurait dû permettre de produire davantage de richesse. Malheureusement, les chiffres publiés par les institutions internationales parlent d'eux- mêmes. Partout la pauvreté augmente et la dégradation de l'environnement s'accélère. Tous les États sont hyper-endettés. Ils ne pourront pas consacrer plus d'argent au paiement de la dette en démantelant les barrières douanières alors que dans le même temps tout reste à construire.

Sursaut collectif

Quatre décennies après son démarrage, l'intégration économique en Afrique centrale reste à faire. Les contraintes et blocages analysés à la constitution de l'Union douanière et économique sont toujours prégnants : les infrastructures de communication inter États sont inexistantes. Les égoïsmes nationaux freinent la coopération régionale. Les États fonctionnent plus sur le modèle de la concurrence que sur celui de la complémentarité. La Cémac est aujourd'hui totalement marginalisée et seul un sursaut collectif semblerait encore en mesure d'éviter son exclusion définitive de la scène mondiale.

Si l'on accepte que la mondialisation rend la survie des économies nationales inséparable de leur intégration à des grands espaces économiques transnationaux, l'intégration économique de la Cémac devient une nécessité absolue. Encore faut-il savoir de quelle intégration on se réclame. Celle du bon fonctionnement des institutions régionales et des sommets de Chefs d'État d'une part, celle d'un processus global qui prendrait en compte les intérêts économiques, commerciaux et financiers, la solidarité entre les États, le souci des valeurs démocratiques réelles, du développement durable, du développement social et culturel des populations, d'autre part.

Aimé D. MIANZENZA

Économiste, Cesbc

 

 

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