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SULTAN ZEMBELLAT

 Artiste Centrafricain

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Site Internet : www.maziki.net

 

LA PLACE DES ARTISTES CHANTEURS MUSICIENS AFRICAINS EN FRANCE

 

Le Club A 45 est une association des ressortissants Africains d’Orléans. Son objectif vise le développement de la concorde sociale dans la Cité. Le Club a organisé le 14 avril 2007 à  l’Université d’Orléans, une conférence-débat autour de la question globale suivante : L’Afrique subsaharienne , ses élites en France : quelle place, quel devenir ? »

Dans ce cadre, des sujets sur la littérature, l’économie,  la politique et sur le droit de la personne ont fait l’objet d’échanges entre les participants à la conférence.

Pour ma part, j’ai animé un débat lié à une thématique découlant du sujet central et se déclinant sous cette forme : Quelle est la place des artistes chanteurs et musiciens Africains en France ?

En premier lieu, il me paraît important de retracer des faits qui ont marqué l’histoire de la musique Africaine avant de traiter ce sujet.

Dans la mesure où le sujet concerne des artistes Africains, notamment des francophones, (Sénégal, Mali, Guinée Conakry, Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Cameroun, Centrafrique, Congo …) il importe tout d’abord de dire la raison de leur choix pour la France. Outre une raison historique liant la France avec les pays d’origine des artistes concernés, il y a aussi celle de la langue. Les artistes de l'Afrique noire francophone préfèrent venir en France pour la facilité de la langue française devenue celle du partage dans l’espace francophone. Une autre raison de ce choix est due sans doute au fait que Paris est une capitale culturelle mondialement connue. Les monuments historiques parisiens datant de plusieurs siècles, ses écoles d’Arts telles que l’Ecole des Beaux Arts, l’Ecole du Louvre, ses Conservatoires de Musique et d’Art Dramatique font de Paris un lieu d’acquisition de connaissances et de savoirs dans le domaine artistique.  De plus, il est facile de Paris d’aller se produire à Londres, New York ou Tokyo que de partir de Bamako ou de Brazzaville pour les mêmes destinations.

Sur le plan musical, Paris après la libération de 1944 attire des artistes venus du monde entier, notamment des Américains qui se produisent à Saint–Germain des Près devenu un temple musical dédié au jazz. Aussi, force est d’assister au développement de Music Hall parisien avec des artistes émergeants qui vont devenir célèbres et parmi lesquels Edith Piaff, Yves Montant, Charles Trenet…

À cette époque la Radio Brazzaville fondée au Congo par la France à l’initiative du Général de Gaulle relaie l’écho de la vie culturelle parisienne nouvellement libérée et devenue un mythe. La France attire également des étudiants Africains qui rêvent d’aller poursuivre leurs études à Paris, notamment à la Sorbonne réputée pour la qualité de son enseignement. Aussi, se développent à Paris d’après guerre des industries culturelles comprenant des studios d’enregistrement sophistiqués, des médias et des lieux de spectacles mythiques tels que l’Olympia, le Moulin Rouge, le Casino de Paris. Cet environnement fait de cette cité une capitale culturelle qui attire des artistes Africains qui viennent se produire sur scène, réaliser des enregistrement pour des disques et pour se faire connaître.

L’Afrique qui ne dispose pas d'équipements en matière d’industries culturelles ne permet pas à ses artistes  de développer sur place leur art. D’où le choix de la France.

En 1950 une première vague d’artistes Africains arrive en France parmi lesquels Fonseca, (un chanteur Capverdien) Francis Bébey et Manu Dibango. Etudiants, les deux artistes Camerounais se rencontrent dans une colonie de vacances et forment un groupe musical. Manu Dibango évolue dans la musique, se produit dans différents lieux, accompagne Léo Ferré au piano sans se faire connaître. En 1957 l’artiste va en Belgique où il devient le chef d’orchestre de Fonseca et de son groupe les Anges Noirs.

Entre 1960 et 1970 Joseph Kabassélé (RD Congo), Franklin Boukaka (Congo-Brazzaville) et François Louga (Côte d’Ivoire) se produisent assez régulièrement en France et en Belgique. Les années 60 marquent l’indépendance de l’Afrique immortalisée par Joseph Kabassélé avec Indépendance Cha cha. L’artiste est convié avec son orchestre l’African Jazz à la table ronde de Bruxelles par Patrice Emery Lumumba, le leader du parti Mouvement de Libération du Congo (MLC). À dans la capitale belge, Joseph Kabassélé rencontre Manu Dibango. Il apprécie les talents du musicien et lui propose de participer à l’enregistrement de « l’Indépendance Cha Cha » qui devient non seulement un tube, mais l’hymne de la l’Indépendance des Etats Africains libérés de l’emprise coloniale.

Après l’enregistrement de « l’Indépendance Cha Cha », Joseph Kabassélé et son orchestre African Jazz où évolue Docteur Nico Kasanda, invitent Manu Dibango à un concert à Kinshasa marquant l’accession du Congo Belge à l’indépendance. C’est ainsi que Manu Dibango arrive à Kinshasa en 1960 et se produit jusqu’en 1972. En 1972 même le Cameroun organise la coupe d’Afrique des Nations à Yaoundé et demande à Manu Dibango de composer une chanson pour marquer l’évènement. L’artiste compose et enregistre un titre qui ne connaît pas de succès du fait que les Camerounais attendent un Makossa vif et percutant comme celui d’Eboa Lottin ou d’Ekambi Brillant. Paradoxalement, la face B du 45 tours réalisé arrive aux Etats-Unis et fait un tabac. Subjugués par les talents de ce saxophoniste Africain inconnu du grand public, les Américains invitent Manu Dibango qui se produit sur les plus grandes scènes des USA. Le succès de la Soul Makossa, un conte de fée est tel que l’oeuvre est plagiée par Michael Jackson. La notoriété de Manu Dibango devient internationale et la France le reconnaît enfin et lui accorde une meilleure place.

L’année 1972 est marquée par l’assassinat à Brazzaville de l’artiste Congolais et porte voix d’Afrique Franklin Boukaka. Franklin Boukaka est un jeune chanteur engagé et guitariste Congolais de Brazzaville dont Manu Diabango est l’arrangeur de sa chanson « les Bûcherons » devenue un chant de ralliement des militants Africains pour la Liberté. L’artiste dénonce le colonialisme et ses valets; il immortalise les héros Africains et tiers-mondistes parmi lesquels Mehdi Ben Barka, Patrice Emery Lumumba, Kwamé N’Krumah, Abdel Kader, Barthélémy Boganda, Oum Nyobé, Félix Moumié… L’assassinat en 1972 de Franklin Boukaka est un choc pour la jeunesse Africaine qui participe à la Coupe d’Afrique des Nations à Yaoundé au Cameroun.

Entre 1980 à ce jour les artistes Africains Sam Magwana, Pamelo Moun’ka, Papa Wemba, Koffi Olomidé, Lokua Kanza, Salif Kéïta, Youssou N’dour, Mory Kanté arrivent en France pour se produire et marquent eux – aussi l’histoire de la musique Africaine en France. Leur style musical est divers et varié selon les régions d’Afrique où ils sont originaires. (Rumba, Musique Mandingue, Mbalar, Salsa, Coupé décalé, World Music, etc.).

L’apport de ses artistes dans la société française

Tout d’abord, les artistes Africains et leurs producteurs participent à l’enrichissement de l’industrie française du fait qu’ils  sont porteurs d'activité aux studios d’enregistrement de musique et des usines de fabrication de Cd et Dvd en France. Aussi, la majorité de ces artistes sont membres de la SACEM (Société des Auteurs Editeurs et Compositeurs de Musique) qui est un organisme chargé de protéger des œuvres, de collectionner des droits générés et de les redistribuer aux ayant droit. Dans ce cadre les œuvres des artistes Africains exploitées en France génèrent des revenus et contribuent de ce fait à l’enrichissement de l’économie française.

Certains artistes qui sont connus permettent à la France d’avoir une représentativité à l’échelon mondial et aussi cette notoriété est génératrice de revenus du fait des prestations qu’ils donnent sur le plan international. Force est de remarquer que le monde entier s’intéresse à la musique Africaine et certains spécialistes cataloguent le courant musical Africain joué en Europe et influencé par la Soul, la Pop et le Jazz de « Word Music ». Cette classification exclue de ce fait d’autres variantes musicales du continent dont la sonorité conserve encore des racines africaines.

Les artistes Africains, notamment des chanteurs, musiciens et groupes musicaux de France ont un rôle fédérateur et régulateur de tension dans la mesure où leurs concerts et spectacles rassemblent leurs communautés, apaisent les esprits du fait de l'éloignement de l’Afrique. Les artistes Africains contribuent au divertissement des populations de diverses origines; ils favorisent le développement des liens sociaux et des rapports entre des personnes de différentes cultures. La musique devient un outil d’intégration de la valorisation de soi des artistes vis-à-vis de la société et un moyen de reconnaissance de la culture de l’autre. D’ailleurs, le Président Ghanéen Kwamé N’Krumah fait de la musique, notamment du High Life (musique populaire ghanéenne) un outil d’intégration sociale, culturelle et d’affirmation de soi, et ce entre 1957 et 1963.

La démarche d’aller écouter la musique de l’autre permet de le découvrir et de vivre ensemble avec lui par ce que souvent la méconnaissance de la culture de l’inconnu peut développer un sentiment de rejet ou de racisme. La musique a facilité l’intégration et la reconnaissance de beaucoup d’artistes Africains de France.

La place des artistes Africains en France

Malheureusement en France la majorité des artistes Africains n'est pas connue et reconnue pour plusieurs raisons.

La non reconnaissance de leur Art est une situation qui  les confine dans un ghetto. D’où la question liée aux difficultés rencontrées par les artistes Africains en France. Tout d’abord, sur le plan de la production scénique et discographique peu de producteurs s’intéressent aux artistes Africains. Les médias français ne sont pas ouverts aux artistes Africains et ne diffusent que rarement leurs œuvres. D’où la « ghettoïsation » de la musique africaine riche variée et vivante.

La politique de quota sur les diffusions des œuvres à la radio est un frein au développement de la musique africaine.

La loi du 1er février 1994 impose de diffuser 40% de chansons francophones sur les radios et 20 % de nouveaux talents. Outre les freins qui existent sur la diffusion des œuvres Africaines, cette politique de quota favorise la programmation des chansons françaises aux dépens de la musique africaine. La mise en application de cette loi ne respecte pas le principe posé qui est la diffusion des œuvres francophones, c’est-à-dire françaises, d’Afrique Noire et d’autres pays ayant en commun l’usage de la langue de Molière. Dans la pratique cette loi exclue purement et simplement les Africains. Or comme les écrivains francophones, un partie des œuvres des musiciens africains en France appartient bien à la culture francophone. D'où des interrogations sur ce qu'il convient d'appeler francophone. Peut-être en ce qui concerne la musique, ce mot veut dire en réalité Francophobe. Aussi, cette loi est contraignante et discriminatoire selon l’avis de nombreux professionnels de la musique.

La loi du 1er août 2000 permet la modulation de cette restriction et sans pour autant apporter un véritable changement. Les radios généralistes conservent la programmation des 40 % des œuvres francophones. Les radios spécialisées dans la mise en valeur de Patrimoine musicale passe à 60 % de chansons francophones dont 10% de nouvelles productions.

Les majors sont les plus gros labels de la production, distribution et des éditions de musique. En France, les majors qui ont la main mise sur la programmation des médias limitent la production des artistes Africains de peur que la  musique africaine domine la préférence nationale. De plus, il est difficile aux artistes indépendants et relevant de petites structures de se faire programmer sur des chaînes de radios et de télévisions du fait de monopole sur la diffusion imposée par des majors. L’on est en droit de s’interroger sur le rôle de CSA qui est sensé réguler des dysfonctionnements sur les médias en France et qui garde un mutisme sur ce sujet.

En dépit des difficultés rencontrées par la majorité des artistes Africains, certains arrivent à émergent. Ils sont à ce jour reconnus et parmi lesquels : Manu Dibango, Lokua Kanza, Magic Système, Rey Lema, Mory Kanté, MC Solar, Touré Kounda, Francis Bébey, Youssou N’dour, Salif Kéïta, Passi, Papa Wemba, etc.

Si l’émergence des artistes Africains pose problème en France, ce n’est pas le cas en Angleterre

La France n’est pas le seul pays colonisateur ayant encore des liens avec l’Afrique. L’Angleterre qui a aussi le même passé que la France s’ouvre aux artistes de la Diaspora et de ce fait facilite leur intégration dans sa société. Cet acte se traduit en Angleterre par l’accueil, la production et la programmation des artistes Africains sur les médias et scènes mythiques de Londres. Cette politique d’ouverture culturelle adoptée par l’Angleterre a pour conséquence d’éviter le développement du communautarisme (replis su soi, sentiment de haine pour d’autres et risque d’affrontement avec des communautés). En Angleterre les artistes minoritaires sont représentés dans les médias et ont un rôle de régulateur de tension dans leurs communautés en cas de conflit. En France les jeunes descendent dans la rue au moindre mécontentement. Si leurs communautés avaient une représentativité dans les médias, il y aurait peut-être moins de problèmes.

Diversité Culturelle

L’attitude de la France, notamment matière la politique culturelle affichée à l’égard des artistes Africains est contraire à la diversité culturelle qu’elle défend à l’échelon international. Aussi, l’on peut s’interroger sur la rupture déclarée par le nouveau Président Nicolas Sarkozy, qui tout en prenant en compte la discrimination positive occulte cette pratique culturelle injuste.

La diversité culturelle défendue par la France est l’existence de différentes cultures et la valeur qu’elle accorde à la création des œuvres d’esprit, contrairement aux pays Anglo-saxons qui les considèrent comme des produits d’échange. La France s’oppose au point de vue des États-Unis et du Royaume Uni qui souhaitent que l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce) applique des règles du commerce sur des produits culturels que les Anglo-Saxons considèrent au même titre que des produits marchands.

Pour certains sociologues, la diversité culturelle est un concept qui permet le développement de l’existence de différentes cultures au sein d’une société. Dès lors que la différence culturelle est considérée comme indésirable par les tenants du centralisme d’Etat par rapport à ses valeurs, cette attitude développe une idéologie d'État. Aussi, la France introduit la notion d’exception culturelle dans les relations internationales face au risque d’envahissement de son territoire par des produits culturels américains, notamment audiovisuels et aussi pour contrer l’uniformisation et la standardisation du monde avec le concept de la pensée unique.

Au-delà des enjeux politiques et économiques liés à cette bataille, la préservation de l’identité des peuples et des individus est la motivation qui amène la France à défendre l’exception culturelle. A ce titre, la France a signé la Convention de l’Unesco sur la Protection et la Promotion de la Diversité Culturelle. Celle-ci est entrée en vigueur le 18 mars 2007. Cette convention prévoit :

  • La reconnaissance des biens et services culturels

  • Le droit souverain des Etats de décider de leurs politiques Culturels

  • Le développement de la solidarité internationale en matière Culturelle

Minorité visible

En 2005, lors d'une rencontre avec les responsables des médias français après les émeutes des banlieues Jacques Chirac les avait invité à prendre en compte dans leur programmation la minorité visible.  La minorité visible désigne des communautés minoritaires de France dont la culture est sous représentée dans les médias. Face à cette situation, l’on peut également constater qu’il y a une culture dominante qui a droit de cité par rapport à une culture dominée vouée au ghetto.

Le mal être, l’exclusion au travail, logement, des difficultés d’accès à la culture, la non représentativité des communautés Africaines et Maghrébines dans des instances de décisions sont des raisons du mécontentement des jeunes issus de l’immigration. D’où l’intervention du Président Jacques Chirac pour corriger en partie cette erreur qui relève d’une mauvaise politique d’intégration, d’insertion sociale et professionnelle d’une partie de la population française.  Malheureusement, il n’y a pas eu de changement relatif à ce signal fort donné par ces jeunes exclus et dont le mécontentement est révélateur d’un profond malaise vécu par une partie de la population française.

Conclusion

La France qui devait s’enrichir de la diversité culturelle qu’elle défend sur le plan mondial laisse passer une chance en s’enfermant dans un conservatisme identitaire. Et pourtant, les artistes Francophones, notamment Africains peuvent avec la France, constituer un contre-poids par rapport au rouleau compresseur américain qui veut imposer l’uniformisation culturelle dans la mondialisation.

 

 

Papa Noël, Crépo, Gass et Sultan      

 

Gass, Papa Wemba et Sultan

                            

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