Marc TALANSI

Professeur de Lettres, Cesbc

 

Ce que nos enfants doivent savoir de la colonisation

 

L’année 2005, en France, restera marquée par la résurgence de la question coloniale sur la place publique. C’est une loi d’abord passée inaperçue et votée le 23 Février 2005 reconnaissant « le rôle positif de la colonisation française Outre-mer » qui a mis le « feu aux mémoires ».

le dernier trimestre 2005 a donc connu une prolifération d’articles et de débats dans les médias audiovisuels autour de la question : « Colonisation : Bilan globalement positif ou négatif ? ». Débats véritablement houleux entre partisans et adversaires. Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, n’a-t-il pas été obligé d’annuler son voyage en Martinique devant la colère du Père de la négritude, Aimé Césaire ? Et le Président de la République lui-même, n’a-t-il pas, lors de ses vœux à la Nation, tenté d’apaiser la situation en demandant au Président de l’Assemblée Nationale la réécriture de l’article litigieux ? Quoi qu’il en soit le débat reste ouvert…

La colonisation : un acte de violence

Ce qu’il faut savoir, c’est que la colonisation est avant tout un acte de violence. C’est un acte grave aux conséquences incalculables encore aujourd’hui. L’immigration, par exemple, autre sujet de controverse en France, n’est-elle pas une des séquelles de la colonisation ?

Coloniser, c’est occuper et dominer politiquement, culturellement, géographiquement, économiquement… un pays.

Imposer sa loi, sa langue, sa culture, nier l’autre et le considérer comme inférieur à soi-même, n’est-ce pas un acte aussi raciste que la volonté d’Hitler d’imposer la race aryenne au monde ?

Et tout cela a duré cinq siècles !  Cinq siècles d’humiliations, d’aliénation des populations, de violations de souveraineté, de dépersonnalisation…

Aucune justification ne peut tenir debout face aux dégâts de la colonisation.

Lire et relire Aimé Césaire

Il faut lire ou relire le « Discours sur le Colonialisme » d’Aimé Césaire pour comprendre à quel point la colonisation reste détestable sur toute la ligne. Ce pamphlet, paru en 1955, et qu’aucun ouvrage sérieux n’a jamais remis en cause, reste la seule réponse aux derniers défenseurs de la colonisation.

Dès la première page, Aimé Césaire affirme que « l’Europe est indéfendable ». Pour lui, « colonisation = chosification » :

« Entre colonisateur et colonisé, dit-il,  il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production ».

Et comme l’argument essentiel des colonisateurs se résume dans « la mission civilisatrice », Aimé Césaire en doute car imposer à autrui ses propres valeurs de civilisation revient à mépriser et à piétiner la culture des autres et en l’occurrence celle des colonisés.

 D’ailleurs, Aimé Césaire  va reprendre terme à terme les justifications de la colonisation pour en démontrer le caractère réducteur :

 « On me parle de sécurité, de culture, de juridisme…moi je parle de force, de brutalité, de sadisme ».

« On me parle d’écoles, de formation culturelle… moi je parle de fabrication hâtive d’employés subalternes utiles à la colonisation ».

« On me parle de progrès, de réalisations, de maladies guéries, d’élévation du niveau de vie… moi je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de culturelles piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties ».

« On me parle de kilomètres de routes, de canaux de chemins de fer…moi je parle de milliers d’hommes sacrifiés à la construction du chemin de fer Congo-Océan et du Port d’Abidjan », etc.

La colonisation est aussi condamnable que l’hitlérisme, ce racisme qui constitue l’une des plus grosses hontes de l’humanité. Voici comment Aimé Césaire (encore lui !) démontre à quel point l’Europe ne s’est pas appliquée à elle-même cette règle élémentaire de conduite qui stipule : « Ne fais à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit » :

« Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du 20ème siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient  jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique ».

En conclusion, cette loi sur « le rôle » positif de la colonisation appelle trois remarques de notre part. La première, c’est que personne n’a le droit de réparer l’Histoire. La seule réparation qui vaille la peine c’est celle de la faute commise à l’égard du colonisé.

En second lieu, il est temps que l’Afrique prenne en charge l’écriture de sa propre histoire, c’est la seule façon de contrer toutes les velléités de tricherie et de  révisionnisme.

Enfin, quelle tristesse de constater que les africains eux-mêmes participent d’une certaine façon à la falsification de leur histoire.

Comment comprendre par exemple que les autorités d’un pays comme le Congo-Brazzaville puissent réclamer le rapatriement des restes de Monsieur De Brazza, le « conquérant-colonisateur » dont le nom reste, il est vrai, lié à la capitale de ce pays ?

Nos amis Sénégalais et Maghrébins devraient s’inspirer de ce bel exemple pour le rôle également positif joué dans leurs pays par des figures prestigieuses que sont Faidherbe et Lyautey.

Le moins que l’on puisse dire c’est que la colonisation nous colle vraiment à la peau ! Et ce, pour des siècles peut-être encore…

  

Première mise en ligne : le 10 novembre 2006

 

 

 

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