Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

   

 

 

Emile Didier LOUFOUA-LEMAY,

Sociologue,

Ecole Nationale d'Administration (ENAM)

Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo

et

Espérance Edmond  KOMBO,

Économiste,

Institut Supérieur de Gestion (ISG),

Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo.

 

 


 

Violences politiques et pauvreté sociale au Congo Brazzaville

 


 

Résumé

Les auteurs rapportent une enquête menée par l’épiscopat ecclésial congolais sur les violences politiques et l’état de pauvreté au Congo. L’objet de cette étude permet d’analyser les comportements des acteurs sociaux impliqués dans les violences politiques pendant les guerres récurrentes que le Congo a connues. Ensuite, il s’agit de démontrer la pauvreté sociale qui est provoquée par les violences politiques et plus précisément dans le département du Pool. Enfin, l’enquête a révélé que les violences ne concernent pas que les combattants ou miliciens mais, les populations civiles sont les plus grandes victimes des conflits armés.

Mots clés : violence politique, pauvreté sociale, guerre récurrente, Pool, Congo.


Political Violences and Social Poverty in Congo Brazzaville

Abstract 

The authors report a survey carried out by the Congolese clerical episcopacy about the political violence’s and the condition of poverty in Congo. The purpose of this survey enables to analyse the behaviors of the social actors involved in the political violences during the recurrent wars experienced by the Congo. Then, we have to prove the social poverty caused by the political violences and more accurately in the Pool Department. Finally, the survey has revealed that the violences do not concern only combatants or militiamen, but, the civil populations are the biggest victims of armed conflicts.

Key Words: political violence, social poverty, recurrent war, Pool, Congo.

 


 

INTRODUCTION

 

 

La plupart des études sur les violences en Afrique noire se sont développées que récemment dans les années 1990, sous l’impulsion des ONG et des écrits de certains auteurs. [Bowman 2003]. Cependant, faut-il noter que les sciences sociales ne sont guère intéressées à ce phénomène social et nous savons peu de chose de la violence ordinaire qui, tout autant que la solidarité, la rivalité ou la coopération structurent les interactions sociales quotidiennes. Les études consacrées au phénomène de la violence en Afrique ont été dans l’ensemble plutôt concernés par la violence politique et, dans une moindre mesure par la violence délinquante et l’exclusion.

   La problématique de notre objet d’étude est de comprendre et d’analyser les violences politiques et l’état de pauvreté des populations congolaises pendant les guerres récurrentes que le pays a connus. En tout état de cause, cette étude qui constate une incidence des guerres des années 90 sur la pauvreté constitue une des sources d’informations susceptibles d’augurer les choix des décideurs en proie à la réduction de la pauvreté.

Au demeurant, nous pouvons dire qu’une violence sera considérée comme politique à partir du moment où l’usage de la force physique qu’elle requiert aura des influences sur l’univers politique, soit qu’elle participe à une transformation ou une évolution du régime, soit qu’elle conteste un choix idéologique soit, plus souvent, qu’elle influe sur les politiques publiques de l’Etat [P .Braud, 1993]. La violence politique est celle qui est produite par des acteurs politiques. Dans la perspective d’une transformation violente du peuplement, on peut distinguer en reprenant un clivage classique, l’Etat qui dispose en théorie du monopole de la « violence légitime » (selon l’expression de Max Weber) et la violence « illégitime ». Celle-ci est générée par des partis ou associations politiques, ou d’autres structures comme des Eglises, puis exercée par des groupes armés qui en sont l’émanation et exercent des contraintes psychologiques et physiques pour parvenir à leurs fins. [I. Charny, 2001]. La violence comme mode d’affirmation d’un pouvoir de faire front, est une ressource politique inégalement disponible.

     En  ce qui concerne le Congo, il faut signaler que l’épiscopat a porté un regard spécifique sur la pauvreté à travers une enquête sociale couvrant l'ensemble du territoire par l’intermédiaire de ses différents diocèses. « Il s’agit(…) pour l’ensemble de l’Eglise du Congo de conduire et mener à bien une démarche volontariste de rencontre d’un maximum de familles et de personnes (12 908) vivant en situation de difficultés économique et sociale. »[J.P. Evrard, J. Tsika, 2007] .L’exploitation des résultats de cette enquête a révélé une forte corrélation entre pauvreté et espaces des affres de guerre. Il est affirmé dans le Document Stratégique de Lutte contre la Pauvreté que « du fait de la crise économique et financière des années 1980, des conflits armés des années 1990 et d’une répartition inégale des fruits de la croissance, les indicateurs sociaux restent bas » [DSRP, 2008].

Depuis la fin de ce que Jean Fourastié a appelé les « trente glorieuses », les recherches en matière de pauvreté dans divers champs disciplinaires ont été fort nombreuses. La question de la lutte contre la pauvreté reste entière tant au niveau des politiques nationales que des politiques menées par les grandes institutions internationales [M. Marc]

En France, une définition administrative est souvent adoptée dans le débat public : être pauvre, c’est bénéficier d’un des minima sociaux existants. On le voit, la question reste entière : qu’est ce qu’un pauvre ? Qu’est ce qu’être pauvre ?

Bien que la pauvreté soit habituellement mesurée en termes monétaires, elle possède de nombreux autres aspects. La pauvreté n’est pas seulement liée au manque de revenus ou de consommation, mais aussi à des performances insuffisantes en matière de santé, d’alimentation et d’alphabétisation, à des déficiences de relations sociales, à l’insécurité, à une faible estime de soi-même et à un sentiment d’impuissance. Au Congo, la pauvreté est un phénomène multidimensionnel et complexe. C’est pourquoi, il est difficile de lui donner une définition fixe et unique. La pauvreté se traduit aussi par une absence de revenu adéquat (pauvreté monétaire) pour faire face aux besoins fondamentaux en matière de nutrition, de sécurité alimentaire, de santé, d’éducation et de l’accès aux infrastructures de base. Elle renvoie également par un manque d’opportunités de participer à la vie sociale et économique. Au total, la pauvreté est un état de dénuement individuel ou collectif qui place l’homme dans une situation de manque ou d’insatisfaction de ses besoins vitaux essentiels.

Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) «  la pauvreté représente une situation d’incapacité (manque de compétence) de profiter des divers aspects de la vie, comme vivre sainement et longtemps, avoir accès à l’éducation de son choix, disposer de ressources économiques suffisantes et participer pleinement à la vie de la société. »[PNUD, 2005].

Selon J. C. Vérez, la « pauvreté sociale (ou relationnelle) s’apparente à l’isolement subi (plus que désiré), à la solitude, à l’exclusion, à la marginalisation ». Les causes sont nombreuses : elles peuvent être liées à la famille (divorcé, décès, veuvage, parent isolé), à des conditions politiques (conflits armés, génocides). Les conflits armés ont la particularité de bousculer la vie des peuples avec surprise, brutalité et sur une grande échelle. Les conséquences sont douloureuses et, au-delà du nombre de morts, il convient de réfléchir à la prise en charge de toutes celles et tous ceux qui ont tout perdu ou presque et qui peuvent de fait se retrouver pauvres. [J.C. Vérez, 2007].

Il s’agit dans cette recherche, à partir de cette approche développée par J.C. Vérez, d’analyser précisément la pauvreté sociale qui est provoquée par les violences politiques. Les variables analysées se situent  au cœur de l’individu, détaché de manière violente de sa famille naturelle. Au centre de cet article se pose une interrogation qui peut être formulée comme suite : depuis la fin des hostilités en 2002, a-t-on suffisamment réfléchi à la prise en charge de toutes celles et tous ceux qui ont tout perdu ou presque, alors que les programmes et actions humanitaires des ONG ont pris fin partout où continuent à vivre ces personnes dans la pauvreté de manière dramatique ?

 

I. MATERIEL ET POPULATION

 

I.1 Bases de recherche

 

 Une grande catégorie des populations se trouve exclue de la communauté en raison des conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles elle vit. C’est la conclusion principale de l’étude ecclésiale sur l’extrême pauvreté qui avait pour objectif global de « réaliser une enquête sociale en collectant des données et en les analysant pour permettre aux évêques de communiquer sur la pauvreté ». Le résultat final est résumé en ces termes :

    

 Le « cercle vicieux d’extrême pauvreté se traduit par des logements exigus et de qualité     médiocre, que l’on soit  propriétaire, locataire ou logé chez des parents .Dans ces logements n’ayant pas le nombre minimal de pièces pour habiter avec la famille élastique, des problèmes et des mésententes désolidarisent l’unité de la cellule parentale. Leurs habitations ne garantissent pas un minimum en matière d’hygiène. Les ressources quasi-inexistantes par le fait de leur trop faible niveau, privent nombreux d’entre eux par exemple de savon » [J. P. Evrard Tsika, 2007].

 

L’échantillon de l’enquête ecclésiale a porté sur 12 908 ménages. Ces investigations ont été réalisées sur l’ensemble du territoire congolais, relativement aux divisions administratives ecclésiale et étatique. Au terme de la première analyse des données brutes d’enquête, il est apparu une trop forte disparité des résultats qui a rendu complexe la rédaction du rapport en lien avec les objectifs de l’étude. Pour repérer les ménages vivant en situation de difficulté économique et sociale, l’étude s’est orientée vers la catégorie des pauvres qui vivent réellement dans l’extrême précarité. Cette exigence a conduit les auteurs du Rapport à effectuer un deuxième niveau de dépouillement des questionnaires en partant des variables tendanciellement dégagées par les premiers résultats. Il en est ressorti un nombre significatif des chefs de ménage vivant quotidiennement dans la précarité. Cette approche a permis de constituer une nouvelle strate de 4 980 chefs de ménage qui sont de l’échantillon total de l’enquête, les plus exposés à la pauvreté. Le tableau n°2 classifie les sondés par strate et par département.

 

Tableau n°1

Répartition des deux strates d’échantillonnage par Département

 

Diocèses

Départements

Strate I d’origine

Ménages à enquêter

Strate II des ménages

Ménages extrêmement pauvres

Brazzaville

Brazzaville

4 796

1 662

Pointe Noire

Pointe Noire

3 657

1 279

Kouilou

Nkayi

Niari

1 249

904

Bouenza

Lékoumou

Kinkala

Pool

1 230

442

Owando

Plateaux

1 268

446

Cuvette

Cuvette Ouest

Ouesso

Sangha

383

103

Impfondo

Likouala

325

144

TOTAL

12 908

4     980

Source : Étude ecclésiale sur la pauvreté

 

I.2. Unité d’observation

 

Selon M. Ravaillon [1996], les enquêtes auprès des ménages sont les plus importantes sources de données pour les comparaisons de la pauvreté. Elles fournissent des informations directes sur la distribution des niveaux de vie dans une société, ainsi que de ménages dont la consommation demeure inférieure à un niveau donné. C’est cette unité d’observation que nous retenons dans le cadre de ce travail. Le ménage est défini comme un groupe de personnes prenant leur repas en commun et vivant sous le même toit.

Dans notre échantillon, le chef de ménage a en moyenne cinq (5) personnes à charge. Ce qui donne au final un ménage de sept (7) individus quand le chef de ménage est seul et huit (8) pour les mariés. Comparativement à la moyenne nationale de six (6) personnes par ménage, l’on peut affirmer que ces ménages congolais ont une taille plus importante et possèdent donc plus de bouches à nourrir quotidiennement.

 

I.3. Seuil de pauvreté du ménage

 

Le critère de seuil de pauvreté, nous dit encore M. Ravaillon [1996] fait référence à un niveau de vie prédéterminé et bien défini qu’une personne doit avoir atteint pour ne pas être considérée comme pauvre. Il existe indéniablement des niveaux de consommation de différents biens (aliments, vêtements) en dessous desquels la survie de l’individu est compromise à brève échéance. Au Congo, la proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté monétaire, soit 544,40 FCFA par adulte et par jour est estimée à 50 % [ECOM 2005].

Ce seuil de pauvreté qui concerne un adulte a été dans cette problématique appliquée à cet échantillon qui conforte la thèse développée dan le DSRP à savoir qu’il « convient de noter que cette moyenne masque des inégalités importantes tant sur le plan spatial, démographique que socioéconomique ».

C’est là que se situe l’ampleur de la pauvreté dans tous les départements qui ont connu les guerres récurrentes du Congo Brazzaville. L’échantillon de ces travaux est bâti sur la base des ménages qui ont des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté. Il ne s’agit pas d’un seul individu puisqu’il a été pris en compte la totalité du revenu du ménage (revenu du chef de ménage, revenu du conjoint, pension, revenus) .Cette variable monétaire prend en compte la totalité du revenu mensuel de ces ménages dont le minimum part de 1000 pour ne pas dépasser 15500 francs CFA ; soit en moyenne de 9083,77 francs CFA.

 

I.4. Critère de comparaison départementale

 

Sur la base de ces données d’enquête, nous avons appliqué le critère de ménages (et non des individus) vivant en dessous du seuil de pauvreté contenu dans le DSRP ; c’est-à-dire 544,40 FCFA par adulte et par jour. Les ménages correspondant à ce niveau sont au nombre de 228 soit 4,54% de la strate II. C’est cette troisième strate qui constitue la base de cette étude mettant en relief pauvreté et violences politiques.

Les résultats inattendus, en partant de la pauvreté monétaire, c’est que tous les départements du Congo ne subissent pas de la même manière les conséquences des affres de guerre. Il est vrai, ainsi que l’affirme les données du DSRP, que l’ampleur de la pauvreté et plus marquée en milieu semi urbain (67,4 %) que rural (64,8 %) ou dans les autres communes (58,4 %),alors qu’elle est moins élevée en zone urbaine, principalement à Brazzaville et Pointe-Noire où elle atteint respectivement 42,3 % et 33,5 % [DSRP, 2008].Mais il faut aller au-delà de ces moyennes arithmétiques pour mieux apprécier les conditions de vie très difficile des populations vivant dans les départements du Congo, hier théâtres de conflits armés.

En partant de l’échantillon retenu, il apparaît une nette corrélation entre pauvreté sociale et violences politiques. La figure 1 ci-après révèle effectivement que les départements qui ont été le théâtre des affrontements armés, pillages vols, viols, destructions des habitations et infrastructures, etc. sont plus exposés à la pauvreté. A travers cette strate de la population enquêtée, le département du Pool est le plus sinistré avec (40,4 %) des effectifs des ménages vivant en dessous du seuil minimal d’existence sociale, suivi de Brazzaville (31,90 %).

 

Tableau n°2 :

Corrélation/Niveau du revenu du ménage

 

Département/Total revenu du Ménage

Moins de 2000

De 2000 à 4000

De 4000 à 6000

De 6000 à 8000

De 8000 à 10000

De 10000 à 12000

12000 et plus

TOTAL

Brazzaville

2

6

2

2

0

6

32

50

PNR

0

12

6

2

2

2

6

30

Kouilou

0

2

4

2

6

14

10

38

Niari

0

4

0

0

0

4

2

10

Bouenza

0

0

0

2

2

4

0

8

Lékoumou

0

0

0

0

0

0

0

0

Pool

0

8

16

16

12

18

22

92

Plateau

0

0

0

0

0

0

0

0

Cuvette Centrale

0

0

0

0

0

0

0

0

Cuvette Ouest

0

0

0

0

0

0

0

0

Source : Estimations de l’auteur sur la base des données d’enquête ecclésiale, 2006

 

La figure 1 ci-dessous est révélatrice de l’amplitude des disparités entre départements en matière de pauvreté, mettant en exergue le Pool qui, justement a été la plus grande  victime des guerres à répétition du Congo Brazzaville.

 

 Figure 1 :

Amplitude de la disparité des pauvres entre Départements

  

 

Source : Estimations de l’auteur sur la base des données d’enquête ecclésiale, 2007

 

En s’inspirant des travaux théoriques de J.C. Vérez [2007], le principal axe de cette recherche consiste à repérer les données explicatives de la pauvreté sociale qui a causé le détachement des personnes de leurs familles de manière violente et leur isolément suite aux conflits armés dans leur espace d’habitation. Nous avons pour cela effectué un croisement des données statistiques entre le département de résidence du ménage et les variables portant sur la famille et la personne. Le but recherché reste la saisie de l’ampleur du phénomène dans le Département du Pool qui a enregistré une longue durée d’affrontements au niveau national et susciter une approche de solutions appropriées par les pouvoirs publics en matière d’appui aux familles sinistrées.

 

En définitive, l’article se focalise sur les conséquences sociales des guerres sans épiloguer sur les origines des violences politiques du Congo. La section II est consacrée de manière spécifique à la pauvreté sociale en partant des données d’enquête.

 

II. VIOLENCES MEURTRIERES ET ACCENTUATION DE LA PAUVRETE

 

 

Les  formes de la violence politique sont donc innombrables [P.Braud, 1993] .Il importe de souligner que l’Etat lui-même est un acteur central de la violence politique. En tant que cible bien sûr, mais aussi comme initiateur puisqu’il s’érige et s’identifie prioritairement comme le détenteur monopoliste de cette même violence. Nous n’avons pas la prétention de retracer la typologie des différentes violences politiques mais, il y a lieu de relever qu’une forme de violence à dimension identitaire, a existé lors  des affres de guerre qui se sont déroulées au Rwanda, en République Démocratique du Congo. La violence vise à offrir une identité à ceux qui la pratiquent, en même temps qu’elle vise à dénier l’identité à ceux qui la subissent. Ainsi, quels qu’en soient les acteurs et les formes, la tentation de la violence reste une caractéristique du système- monde contemporain, et notamment dans les pays africains.

Notons que le rapport intitulé « Le Département du Pool en République du Congo : population abandonnée », publié en 2004 affirme que les troubles qui ont lieu au Congo Brazzaville et particulièrement dans le Département du Pool entre 1997 et 2002, ont contraints à la fuite des dizaines de milliers de familles. Pour survivre, elles ont cherché refuge dans des villages éloignés ou dans des abris de fortune près de leurs champs. D’autres se sont rassemblées dans de plus grands villages et occupent les maisons abandonnées par d’autres déplacés. De nombreuses familles se sont déplacées dans le Département de la Bouenza limitrophe ou vers l’est à Brazzaville. Les Nations Unies avaient estimé à 100 000 le nombre de résidents du Pool déplacés entre mars et octobre 2002, dont 30 000  à 40 000 auraient fui vers Brazzaville.

Ce rapport résume ainsi le niveau de déstructuration sociale dans ce département suite aux différents conflits armés :

 

  - Niveau élevé de déplacement des populations : l’ensemble de la population de ce département (99,8% de ménages) a été déplacé pendant le conflit de 2002-2003, contre 94% en 1998-1999 ;

  - Déplacement des populations : d’après 41% des personnes interrogées, au moins un membre du ménage n’a pas encore regagné son domicile. En moyenne, un habitant sur cinq vit encore loin du village en raison de l’insécurité, de l’accès aux services de santé ou du manque d’écoles ;

  - Mortalité infantile : Un quart des ménages ont rapporté le décès d’un ou plusieurs enfants en raison de la dureté des conditions de vie pendant le conflit ;

 - Logement : Le niveau de destruction des maisons privées est très élevé : 46% des familles interrogées vivent dans des maisons partiellement ou totalement détruites suite au conflit de 2002-2003, 31% n’y vivaient pas pour les mêmes raisons. En dépit de la réinstallation d’un certain   nombre de déplacés depuis les accords de paix, les personnes habitant dans le Pool n’ont toujours pas les moyens de reconstruire ou de réhabiliter leurs maisons ;

- Disparition des villages : Des villages entiers ont été détruits par le conflit ou sont trop peu sûrs pour être repeuplés. Huit villages et deux quartiers dans deux grandes villes ont aujourd’hui disparu ;

- Agriculture : Bien que l’agriculture soit l’activité principale dans le Pool, un tiers des ménages n’a pas eu de récolte depuis 2002. Un ménage sur neuf ne s’attend pas à récolter à la prochaine saison. Les stocks de semences sont dramatiquement bas 

- Eau et hygiène : Seuls 8% des habitants du Pool ont accès à l’eau courante. Un tiers des ménages parcourt entre un et sept kilomètres pour atteindre la source d’eau la plus proche. Concernant l’hygiène, 72% des personnes interrogées ont accès à une latrine, 59% la partagent avec 5 personnes ou plus, et 18% avec 10 personnes ou plus ;

- Education : Deux tiers des écoles ont un seul ou pas du tout d’enseignants qualifiés. Les écoles manquent d’équipement et de matériels pédagogiques. Seul un élève sur quinze à l’école primaire et un sur dix-huit à l’école secondaire ont un manuel scolaire. En moyenne, un banc est partagé par six élèves au primaire. 15% des écoles enquêtées en sont totalement dépourvues ;

- Infrastructures scolaires : Les infrastructures scolaires sont dans un état très critique. D’après le Ministère de l’Education, 85% des bâtiments scolaires sont en « très mauvais état ». L’évaluation sur le terrain de trente sept écoles a révèle que 69% des bâtiments étaient totalement ou partiellement détruits et 72% endommagés ;

- Soins de santé : Un tiers des structures sanitaires sont fermées depuis le conflit de 1998-1999 et depuis celle de 2002-2003. Les ONG internationales jouent un grand rôle dans le maintien des rares centres de santé restés ouverts. Les ressources du gouvernement sont limitées et les familles de retour dans leur village manquent de moyens financiers pour les soutenir ;

Persistance de l’insécurité et de la violence : Un ménage sur cinq a été victime d’un acte de violence durant ou depuis le conflit de 2002-2003. La plupart ont rapporté que les crimes ciblaient surtout les hommes. Ils ont notamment mentionné 72 cas de meurtres. Un ménage sur cinq ne se sent pas en sécurité dans son village. Le sentiment d’insécurité est proportionnel au nombre d’hommes armés présents dans le département.

De telles conditions d’existence sociale ne peuvent qu’avoir des conséquences néfastes sur la personne. Nous situant sur le terrain de la pauvreté sociale, il est office question d’analyser les variables explicatives de celle-ci suite à la guerre fratricide dans ce département qui n’a pas été enregistré par ailleurs dans le pays.

 

 

III. DESTRUCTURATION DE LA CELLULE FAMILIALE

 

 

La guerre ne concerne pas que les combattants ou miliciens. Les populations civiles sont les plus grandes victimes des conflits armés. Selon les résultats de l’enquête ecclésiale, la composition des ménages a subi de profondes modifications dans le département du Pool par rapport à la moyenne nationale.

 

 III.1 Des ménages majoritairement unipersonnels et dirigés par le genre féminin

 

 

L’étude du profil de la pauvreté au Congo note que ce sont les non pauvres qui disposent d’une forte proportion de ménages unipersonnels (11,6%) [ECOM, 2005]. Cela est le contraire dans le Pool d’après guerre où, en milieu pauvre, l’on relève une forte proportion de divorcés (44,00%) et veufs (44,00%) par rapport aux autres départements du pays.

 

Figure 1

Proportion des divorcés et veufs par département

 

Or les données de l’ECOM constatent que par rapport au sexe, les ménages gérés par des femmes comportent relativement plus de pauvres que ceux dirigés par les hommes. Cette donne revient à soutenir que dans le Pool :

  - Les destructions des vies humaines ont accentué la population des personnes fragiles plus qu’ailleurs ;

  - De plus en plus de femmes seules dirigent des ménages à 52,20%, même si au niveau national, les données démographiques montrent une prédominance des femmes qui constituent plus de la moitié (51,3%) de la population congolaise.

 

Figure 2

Problèmes majeurs au sein des ménages dans le Pool

 

 

 

Le graphique ci-dessus confirme bien l’importance des familles divorcées ou abandonnées, listées à 66,70% comme préoccupation majeure au sein de foyers. Il s’ensuit les difficultés de prendre en charge les membres de la famille dues à l’absence du chef de famille et à la promiscuité. A cela, par la qualité des logements, l’espace vital est trop insuffisant pour abriter tout le ménage. Les conséquences liées au mauvais état des logements sont les problèmes de famille et les mésententes qui désolidarisent l’unité de la cellule. Du coup, la famille « institution sociale » par excellence, ne permet pas son fonctionnement adéquat et un développement harmonieux de ces congolais. Ce n’est pas un cadre d’étude par excellence qui permet une concentration propice pour les futures générations, condamnés dès lors au cercle vicieux de la pauvreté.

L’Etat qui a la responsabilité sociale de protection de familles, comme le soutient M. Weber, abuse du monopole de la violence, déstabilisant des régions entières qui sont livrées aux méfaits de la culture de la violence. L’Etat congolais est parvenu à infléchir le développement des familles entières puisque même l’enfant n’est plus le remplaçant et le continuateur de la chaîne générationnelle reproduisant la famille autant qu’il est soutien pour les vieux jours de ses parents, une sorte de sécurité sociale. [Tshikala K. Biaya, 2002]. Les enfants sont devenus des enfants soldats, des enfants –réfugiés, des enfants ex-combattants à démobiliser, des enfants-exilés. A ce sujet, cet auteur note que les « enfants-soldats à Brazzaville sont des jeunes désœuvrés qui n’ont comme rudiment d’instruction que le maniement des armes. Leur grande activité consiste à piller, à mettre à sac les villes et les maisons (…). Ils innovent en art de violenter et de tuer : ile créent des catégories d’identification de l’ennemi à plumer au-delà des oppositions anthropologiques binaires et de l’identité ethnique » [Tshikala K. Biaya, 2002]. L’on a observé que ces enfants ont élargi leurs activités de pillage au sein de propre famille ; devenant ainsi des exclus de leurs propres parents.

En fin de compte, leur avenir est hypothéqué, devenant des bannis de ce qui reste de la communauté familiale. Dès cet instant, à la pauvreté sociale s’ajoute une pauvreté identitaire. Il s’agit d’une crise de l’identité, de l’éthique au sein des familles qui endommage fortement le tissu social ; dimension que les programmes de développement conçus par les pouvoirs publics n’intègre pas.

 

III.2 Des départs forcés de leur terroir

 

L’image la plus répandue qui frappe les peuples en guerre est le déplacement des personnes avec des baluchons sur la tête. Ces départs forcés vers l’inconnu font éclater la cellule familiale et isolent les individus qui n’ont pas les moyens pour migrer dignement vers des zones sécurisées. Le cas du Pool est révélateur en milieu pauvre puisque parmi les facteurs explicatifs du manque de logements, les personnes interrogées citent à 100% les départs forcés. Le rapport Caritas Congo et Catholic Relief Services [2004], au cours de leurs investigations dans le Pool, constate des destructions de maisons à grande échelle. Il explique que 58% de la population vit toujours dans des maisons endommagées ou détruites. Seules 25% ont pu réparer leurs maisons ; 31% ne vivent pas dans leurs maisons dont 61% en raison de dégâts trop importants. La plupart des familles interviewées ayant perdu leurs maisons se considèrent désormais en situation d’exil. Ces dégâts sont attribués par 80% des personnes interrogées uniquement au conflit de 2002-2003.

 

Alors que la guerre débutée en 1997 perdure au-delà de 2000, ce n’est qu’en début mai 1999 que le gouvernement autorise les retours à Brazzaville et l’accès aux quartiers sud, bombardés et pillés depuis quatre mois (fin décembre-début mai). Selon les chroniques rendues par M. Le Pape, au sortir de la guerre, entre le 1ér mai et fin septembre, sont dénombrés les retours de 140 000déplacés. Durant la première semaine de mai, 10 000 personnes regagnent la capitale. Ces arrivées se poursuivent à un rythme élevé durant tout le mois de mai. En juin, le nombre  d’arrivées chute, puis il augmente régulièrement en juillet pour atteindre un pic du 19 au 26 juillet : cette semaine- là, 15 780 retours du département du Pool et 18 080 retours du Congo Kinshasa sont enregistrés. En août et septembre, les retours hebdomadaires varient entre 7 400 et 12 000 à personnes. [M. Le Pape, 2004]. D’après les témoignages, il semblerait que tout le long du couloir humanitaire instauré, les forces de l’ordre effectuaient des rapts systématiques, séparant les jeunes hommes susceptibles de porter des armes. [R. Bazenguissa-Ganga, P.Yengo 1999].

Tableau 2. Violence subie et Harcèlement

 

 

Violence subie

Harcèlement

Brazzaville

4%

0%

Pointe Noire

6,7%

0%

Kouilou

10,5%

0

Niari

0%

0%

Bouenza

0%

0%

Lékoumou

0%

0%

Pool

6,5%

10,90%

Plateau

0%

0%

Cuvette Centrale

0%

0%

Cuvette Ouest

0%

0%

Sangha

0%

0%

Likouala

0%

0%

 

 

Figure 3

Corrélation Département/agressions

 

 

 

 

 

 

 À titre d’illustration, la répartition des interventions prise en charge par Médecins Sans Frontières section française en 2003 montre la mise en œuvre de 110 projets correspondant à quatre types de situations :

   -56% des projets ont pour cause un conflit armé ;

   -23% répondent à des endémies et des épidémies ;

   -19% des projets correspondent à des besoins ayant pour cause l’exclusion, la précarité, la violence sociale. Il s’agit en particulier de dispensaires urbains dans des quartiers pauvres, de secours aux enfants des rues, de soins aux femmes victimes de violences sexuelles ;

    - 2% en réponse aux désastres naturels.

En juillet 1999, « …c’était une période où la chasse aux hommes de quinze à trente ans était relativement effrénée. Nous avons très souvent reçu des jeunes hommes qui avaient pris une balle dans le pied, dans la main ou dans la cuisse. Tout simplement parce que c’étaient des hommes, qu’ils étaient jeunes, qu’ils n’avaient pas d’argent, rien  à donner. Ils étaient traités de Ninjas, (c’est-à-dire membres d’une milice ennemie). Une balle, c’était un combattant de moins » [M. Le pape,2004].

 

III.3. Des résistances au retour dans le Pool

 

Le Pool, devenant impossible à vivre ne peut pas  à l’évidence accueillir des réfugiés. Le département du Kouilou et la ville de Pointe-Noire confirment leur tradition de havre de la  paix durant la période de guerre. Elles regorgent respectivement 75% et 25% de réfugiés ayant fui les zones de combats. Ceux-ci ont tendance à s’y installer car depuis la fin de la guerre en 1999, ces personnes pauvres interrogées même si elles se considèrent comme étrangères trouvent de quoi survivre comparativement à leurs départements d’origine qui n’ont plus rien à leur proposer.

Les données ci-après révèlent que les populations du Pool ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins fondamentaux de manière plus accrue en comparaison de leurs compatriotes vivant dans les autres départements du pays. Elles sont plus exposées aux problèmes d’eau, d’alimentation, de logement, de vêtements et de sécurité. A ce sujet, quand bien même les hostilités avec les forces armées congolaises avaient pris fin officiellement, les « ninjas », anciens rebelles font preuve d’agressions pour se procurer de quoi vivre.

Figure 4

Ventilation des besoins par département

 

 

                Source : Estimations des auteurs

  

III.4. Degré de traumatisme des populations

Selon Médecins Sans Frontières (MSF), entre début mai et fin décembre 1999, 1 190 femmes ont déclaré avoir été victimes de viols. Le plus grand nombre des viols ont été commis lors du retour dans le « corridor de sécurité » où des bandes armées pro-gouvernementaux, de même que des soldats (présentés par les autorités comme des « éléments incontrôlés », ont établi des « bouchons » ; [MSF, 2004].

Pour R. Bazenguissa-Ganga [1998], «  le bouchon n’est autre que le barrage qui devient le lieu où la violence s’érige en mode de gestion de la vie humaine. La violence n’est plus simplement un corps à corps ; mais elle se déploie comme un ensemble d’actes qui sont montés et réglés à partir d’une série d’oppositions binaires : gens de terre/ gens de pouvoir, dedans/ dehors, autochtones/ étranger, homme/femme. »

Ce lieu par excellence de « purification » des victimes, permet aux combattants d’arrêter les camions qui ramènent les déplacés, sélectionnant des femmes et des jeunes filles. Pour leur part, les jeunes hommes et les adolescents couraient le risque d’être qualifiés d’ « infiltrés » et d’être exécutés sommairement ou mitraillés dans les pieds, dans les jambes. Tous, hommes et femmes, étaient victimes de rackets de la part des miliciens et des militaires. C’est ainsi que le « corridor humanitaire » établi par les autorités fut surnommé « corridor de la mort » par les fugitifs qui en réchappaient. [Le Pape, 2004].

Comparativement aux autres départements de la République, les habitants du Pool ont plus été victimes d’harcèlement par les acteurs de la guerre à 80%, suivis de loin par les ressortissants de Pointe-Noire. Il s’agit en réalité, pour le cas de Pointe-Noire des réfugiés venus des zones de guerre qui y habitent toujours. Brazzaville, point de départ de la guerre arrive en troisième position avec 20%. Il s’en suit des problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie et de maladies causées par ces traumatismes.

 

 

CONCLUSION

 

De manière récurrente, les hommes politiques congolais s’accordent à dire que la paix est de retour depuis 2000. Il s’est établi que les affrontements armés se sont arrêtés, mais la fin du crépitement des armes n’est pas synonyme de paix. Les stigmates de la guerre sont toujours présents et se manifestent par l’accentuation de la pauvreté sociale des populations.

Actuellement, le Congo-Brazzaville n’est pas considéré comme un pays vivant dans une crise humanitaire, justifiant le retrait graduel des organismes humanitaires dans l’ensemble du pays et en grand nombre dans le département du Pool. Après l’ONG Action contre la faim en 2002, Aide Médicale Internationale et Médecins sans frontière France en 2006, Médecins Sans frontière Hollande en 2008, voici que l’intervention du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) est arrivée à terme avec ses programmes humanitaires en 2009.

Ces interventions salutaires des humanitaires, par essence, ne sont donc pas allées au-delà de la question de l’éradication de la pauvreté sociale dont la responsabilité incombe aux pouvoirs publics congolais.

Les données exploitées dans ce travail ont été recueillies en 2007, soit dix ans après le début des guerres dévastatrices et sept années depuis la proclamation de la fin des hostilités à grande échelle. Le constat est dramatique sur les traumatismes des individus et la déstabilisation des unités familiales. La politique gouvernementale met en avant la politique de décentralisation accélérée au sein des différents départements du pays. Nous estimons que les décideurs doivent, dans la réparation de la « bêtise humaine » orienter leurs stratégies en direction de politiques de développement local, car la guerre n’est pas responsable de tous les maux. Elle n’a fait qu’accentuer la pauvreté sociale et la déstructuration de la famille, institution sociale qui ne fonctionne plus de manière adéquate et donc incapable de favoriser un développement harmonieux de ses membres. Elle devient, dans de telles conditions de pauvreté accentuée, une source de nombreux problèmes et frustrations freinant l’avenir de nouvelles générations.

 

 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

 

Bazenguissa-Ganga, R, (1999)

La popularisation de la violence politique au Congo, Paris, Karthala

Bazenguissa-Ganga, R, (1998)

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pp. 2-4                               

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La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, Paris, L’Harmattan.

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Caritas Congo et Catholic Relief Services (2004)

Le département du Pool en République du Congo : Population abandonnée.

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Dictionnaire de Sciences Politiques et Sociales (2004) Sirey (dir.) D.Alcand, L.Bouvet et al. Ed.,  Dalloz, Paris

Document Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (2008)  DSRP, Ministère du Plan, Brazzaville.

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Rapport ecclésial sur la pauvreté au Congo, Caritas France.

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