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Indicateur éditeur  979-10-90372

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

 

 
 

 

 

 

 

Jean-Placide KEZA

Économiste

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo

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Les enjeux économiques de la bancarisation en Afrique subsaharienne

 

 

INTRODUCTION

Le concept de croissance économique est difficile à cerner. Les économistes s’interrogent encore aujourd’hui sur ce qu’ils savent de la croissance et sur la meilleure manière de définir une politique économique en l’absence de modèle fiable. Il n’en demeure pas moins que l’accélération de cette croissance économique est la grande priorité des responsables politiques  dans la plupart des pays, dans l’espoir de faire reculer la pauvreté et de relever le niveau de vie de la population.

Pour l’Afrique qui n’est pas en marge du phénomène, le problème se pose différemment.

En effet, depuis quelques années, l’Afrique subsaharienne connaît une croissance économique soutenue, avec de taux qui dépassent 5% par an. Ces chiffrent souffrent d’une contestation qui touche à la fois au concept même de croissance économique et au manque de fiabilité de l’appareil statistique. En Afrique subsaharienne, la poursuite de la croissance se heurte à un obstacle fondamental : la fragilité des secteurs financiers. La pérennité de la croissance économique ne peut pas se faire sans la mise en place d’une infrastructure financière sur laquelle elle peut s’appuyer. Des secteurs financiers solides profonds et efficients sont donc indispensables pour l’Afrique pour, améliorer le climat des affaires et créer les conditions dont l’économie a besoin pour « booster » la croissance.

En Afrique subsaharienne, les marchés boursiers sont embryonnaires. De même le secteur de l’assurance et les intermédiaires financiers non bancaires sont peu visibles. Dans ce contexte, l’analyse qui suit se limite au seul secteur bancaire.

En Afrique subsaharienne, le secteur bancaire représente plus de 80 % des actifs ; il est donc la partie la plus développée du secteur financier. Toutefois, la bancarisation se distingue par des taux très bas : entre 5% et 10%. Des taux très bas sont des obstacles à l’amélioration de la croissance économique et à sa stabilisation. Dans ce contexte, la réforme du secteur bancaire doit poursuivre l’objectif d’une bancarisation de masse car celle-ci va dans le  sens du développement économique.

En effet ,en dehors du fait que l’accès au services bancaires est indispensable pour mener une vie normale dans une société moderne, la fourniture des services financiers aux populations les plus démunies est un vecteur de lutte contre la pauvreté.

Cela est tellement vrai que l’Afrique subsaharienne voit aujourd’hui se développer de nouveaux modes d’organisation financière notamment la micro finance pour faciliter cet accès. Cependant, cette situation de concurrence entre secteur bancaire et micro finance est loin d’avoir favoriser l’élévation de taux de bancarisation. Il est donc important de voir quelles sont les entraves à cette bancarisation et dans quelle mesure elle peut porteuses d’opportunités pour les différents agents économiques.

1. Le secteur bancaire

Au regard de la zone CFA[1] en Afrique francophone et les Comores, le secteur bancaire compte des établissements financiers qui exercent une activité de banque universelle caractérisé par une structure oligopolistique dominée par des groupes internationaux qui contrôlent près de 70% du marché. Dans cet espace, les banques françaises conservent des positions fortes notamment la BNP, la  Société Générale le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais.

Compte tenu du fait que dans ces zones, les dépôts de la clientèle progressent plus vite que les crédits à la clientèle le système bancaire comporte  souvent une situation de trésorerie nette largement excédentaire. Depuis les années 90, période marquée par plusieurs crises, les banques ont subi une restructuration brutale et en profondeur ; la gestion du secteur a accompli d’énormes progrès. Le système bancaire est devenu relativement sain, liquide et rentable. Cependant il existe encore des lacunes en matière juridique, dans le financement des PME et la création d’entreprise.

À coté de ce système classique s’est développé un autre qui est aujourd’hui en pleine mutation : la micro finance.

2. Le secteur de la microfinance

Les pratiques traditionnelles d’épargne et de crédit ont toujours existé en Afrique subsaharienne. Son importance a amené de nombreux experts et chercheurs à s’intéresser à ce qui est appelé la finance informelle. Sous cette appellation on retrouve tous les flux financiers générés par le réseau des marchands, de prêteurs professionnels, des amis, de la famille, des gardes monnaie ainsi que des tontines. Ces flux qui échappent au secteur bancaire constituent un ensemble fort disparate qui ne doit son unité qu’a la proximité des relations entre les débiteurs et les créanciers.

C’est de cette vitalité de la finance informelle que naît la microfinance avec surtout la création de la Grameen-Bank au Bangladesh en 1976 dont le modèle a été repris partout en Afrique. À cela il faut ajouter trois caractéristiques suivants survenus dans le paysage économique africain :

  • la prépondérance du financement extérieur par rapport au financement local.

  • le secteur public auquel on préfère le secteur privé.

  • l’épargne préférée à la place du crédit.

Ainsi l’Afrique voit émerger de nouvelles institutions de micro finance (IMF) qui s’insèrent dans la nomenclature des institutions financières.

Aujourd’hui si la micro finance est bien connue, sa définition reste encore imprécise. C’est pourquoi, il est souvent fait référence au terme de microcrédit auquel il est associé. Le microcrédit est un crédit d’un montant peu élevé. Pour la Banque Mondiale le plafond est de 30 % du PNB par habitant, environ 100 000 Fcfa (150 euros). Ce crédit peut être demandé pour différents mobiles mais il l’est principalement pour développer « une activité génératrice de revenu ». Pour ce crédit le ou les emprunteurs n’offrent pas de garanties personnelles.

Pour la micro finance on distingue généralement quatre catégories d’institutions :

  • les mutuelles d’épargne de crédit ;

  • les caisses villageoises ;

  • les expériences de crédit direct ou les programmes d’appui au micro crédit qui sont financés parles ONG ;

  • les projets volet crédit financés et gérés comme les précédents mais dont l’activité principale est tout autre.

Toutefois, le monde de la microfinance est difficile à appréhender dans la mesure ou les banques commerciales commencent à faire de la micro finance.

En ce qui concerne la bancarisation, il faut tenir compte non seulement des opportunités mais aussi des contraintes.

3. Les contraintes de la bancarisation

L’efficacité du système bancaire et financier dépend d’abord de l’action de l’État.

3.1. L’État

L’ État doit rester un acteur essentiel. Il doit octroyer la primauté à l’économie et à la juste répartition des fruits de la croissance. Il doit recourir aux incitations fiscales. Il doit instaurer une sécurité juridique et une stabilité politique. Enfin, s’agissant particulièrement de l’Afrique subsaharienne, l’État doit veiller à la mise en place d’une réglementation en conformité les normes internationales.

3.2. Les aspects socioculturels 

Jusqu’à présent, les garanties financières demeurent un instrument juridique efficace de transfert de risque et de protection contre le risque d’insolvabilité du débiteur.

a. Utilités et contraintes des garanties

En Afrique subsaharienne, cela pose un problème dans la mesure ou les populations démunies ne peuvent pas s’en prévaloir pour demander un crédit ou ouvrir un compte bancaire.

Les institutions financières font preuve de peu d’imagination pour trouver des solutions alternatives. Or la solidarité et la confiance que les individus se font au sein d’un groupe plus ou moins élargi constitue une meilleure garantie pour la microfinance. C’est à ce niveau que la notion de capital social trouve toute sa signification.

En effet, tous les travaux récents sur le concept capital social démontrent qu’il influence les relations financières. Selon que le degré de confiance est plus ou moins élevé dans une société l’attitude vers le système financier sera différente autrement dit, dans une société à capital social moins élevé, les agents seront réticents à déposer leurs avoirs sur un compte bancaire, ils préféreront conserver leur richesse par conséquent la société sera moins bancarisée.

Ainsi le niveau de capital social dans une économie influence de façon significative le développement financier de cette société notamment sa bancarisation ou son recours au crédit. Cela est assez conforme à l’intuition, dans la mesure ou la finance est liée à la confiance. Donc toute action allant dans le sens d’élever le capital social est susceptible d’augmenter la bancarisation.

b. Le problème de la conception de l’argent dans la religion

Sur le plan des croyances, l’Afrique subsaharienne présente ceci de particulier qu’elle n’est pas un ensemble homogène. On y trouve à la fois des animismes, des chrétiens, des musulmans, des hindouistes et des bouddhistes. Même si toutes ces religions sont pas totalement compatibles avec le développement économique c’est l’islam qui s’avère plus rétive à toute idée de profit. Or un pan entier de l’Afrique étant islamisé (l’Afrique de l’ouest) il s’ensuit que toute activité ou initiative ne peut pas être déconnectée de ce milieu culturel.

Dans la doctrine islamique l’argent en soi est improductif et ne sert que d’instrument de mesure de la valeur de biens. Il ne peut donc être considéré comme un bien en soi, dont le prix serait fixé par l’offre et la demande. Par conséquent le riba (l’augmentation non justifiée des montants prêtés) est interdit par l’islam.

En dehors de l’injustice sociale fondement commune de cette interdiction aux trois religions monothéistes, l’islam une autre raison explique la position de l’islam. En effet pour pour l’islam, le capital (argent) n’est qu’une mesure de la richesse et non  la richesse elle-même. Il ne le devient que grâce à son association avec le travail de l’homme. Par conséquent l’intérêt comme prix de l’argent épargné n’est pas justifié. Une telle justification n’existera que si cette épargne était investie en vue de créer plus de richesses.

Selon les économistes musulmans, les fonds disponibles dans le système non islamiques sont souvent susceptibles d’être alloués à des emplois purement spéculatifs et ne profitent pas nécessairement aux projets les plus productifs. Ce qui conduit à une mauvaise allocation de ressources et représentent une entrave à l’emploi.

De même, l’intégration du prix de l ’argent dans la valeur de bien induit de l’inflation dans la société, l’ensemble affecte la croissance et le bien être de la société civile. En définitive, pour la majorité des musulmans tout intérêt même pour les crédits productifs reste interdit, puisque le riba est interdit, tout remboursement au-delà du montant original d’un prêt est donc illicite. Par conséquent l’activité bancaire dans une région à dominante islamique doit être établie sur la base de ces principes. Le secteur bancaire et financier doit donc offrir des produits qui reflètent l’ensemble de ces conceptions.

Il faut s’inspirer des banques islamiques qui ne cessent de se développer.

Une des solutions réside dans l’association des banques classiques avec les banques islamiques pour fournir des financement mixtes  ou les taux d’intérêt  prohibé est remplacé par un taux de rendement sur des activités réelles.

4. Les opportunités

Sachant que le taux de bancarisation demeure très bas et que  la monnaie scripturale plafonne à près de 65 % laissant seulement le tiers à la monnaie fiduciaire, il reste beaucoup de marge de manœuvre aux institutions financières pour innover à la fois sur le plan de la diversification des produits et services et sur le plan de la reconnaissance du client « roi ». Plusieurs pistes peuvent être envisagées selon l’imagination et la compétence des autorités bancaires. Cependant, les priorités sont :

  • L’harmonisation des approches de réglementation  dans chaque zone tout en facilitant l’entrée sur le marché. Ceci permettrait aux établissements financiers de bénéficier des économies d’échelle et du développement de leurs activités sur des marchés plus étendus.

  • L’élimination des distorsions, dues notamment au laxisme des organes de supervision bancaire. Ce qui aiderait à consolider les banques et faciliterait le marché interbancaire.

  • L’utilisation des instruments tel que le crédit-bail ou d’autres formes de garantie pour éviter les difficultés créées par les déficiences des droits de propriété.

  • Enfin, la mise en place et l’application équitable des règles de droit.

 


[1] La Zone franc regroupe 15 pays d'Afrique sub-saharienne. En plus des Comores il comprend en Afrique de l'Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ; En Afrique centrale : le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Tchad.

 

 

 

 

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