CENTRE D'ÉTUDES STRATÉGIQUES DU BASSIN DU CONGO

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 Indicateur éditeur  979-10-90372                                                                                              ISSN 2493-5387


 

 

Jean-Pierre BANZOUZI

Anthropologue

Brazzaville, République du Congo

 

Imaginaire et quotidien à travers

le discours du kiosque à Brazzaville

Préface de Daniel Justin Gandoulou

Évry, CesbcPresses, mars 2014, 160 pages,

ISBN : 979-10-90372-07-8

 

 

Le discours du kiosque :

essai d'analyse sémiologique

 

Chapitre 1, pp. 21-34

 

Ce qui rend les grandes villes africaines si polymorphes, c'est, entre autres, leur grande capacité de se régénérer à travers plusieurs générations de citadins. À chaque génération ses singularités, ses spécificités, ses modes vestimentaires ou verbales... Brazzaville et Kinshasa sont les lieux d'un dynamisme social et culturel très riche. Il n'y a pas que la musique qui y soit vivante. D'autres formes d'expression plus souterraines le sont autant : peintures populaires, littérature policière, bandes dessinées expriment le désordre de cette vie urbaine. Mais la créativité est aussi quotidienne dans l'invention permanente des moyens de survie et dans les mots pour le dire. Les nombreuses enseignes des petits métiers (coiffeurs, garagistes) et d’autres professions (cordonniers), des « lumpen-fast-food » et des décorations de camion ou de pousse-pousse, qui font partie de la communication directe dans ce paysage urbain, sont aussi des unités d'observation.

1. Les enseignes

Les premières enseignes apparues en Afrique subsaharienne francophone ont été les enseignes de coiffure.

 1.1. Historique

Wolfgang LANGSFELD situe l'origine des panneaux de coiffeurs entre 1930 et 1940 en Afrique de l'Ouest. Blaise N'DJEHOYA, écrivain camerounais, pour sa part, date les premières enseignes vers les années 1950. Dans le second long métrage de Jean ROUCH, Moi un noir, tourné en 1957-1958 à Treichville, quartier d'Abidjan en Côte d'Ivoire, apparaissent des enseignes reproduisant des coiffures « coq » ou « azazou » à la mode. L'engouement pour les panneaux de coiffeurs semble croître avec le développement des villes africaines durant les années qui précèdent l'indépendance et, surtout, celles qui la suivent, marquées par une « occidentalisation » des cultures urbaines.

Au Congo, c'est probablement dans les années cinquante, quand les bars-dancings, appelés également Congo bar, se multiplient à Brazzaville et à Léopoldville et que l'usage de l'enseigne se généralise. Ces Congo bars ont pour noms : Chez Faignond ; Elysée Bar ; Le Pigalle ; Congo Zoba ; Lumi-Congo ; Mouendo Koko ; Nouani-Bar ; Chez Hughes.

 À mi-chemin entre l'art pictural et la réclame, l'enseigne permet avant tout d'identifier une activité. Il suffit de dire : « Je vais chez À la beauté tout Brazza » pour se faire comprendre. L'enseigne sert aussi de repère visuel, de poteau indicateur, de boîte aux lettres et même d'adresse. On commence à se référer beaucoup plus à l'enseigne qu'au commerçant.

1.2. Définition

Une enseigne est définie par le Robert comme « un panneau portant un emblème, une inscription, un objet symbolique, qu'un commerçant, un artisan met à son établissement pour se signaler au public. »

Dans le contexte brazzavillois, elle peut aussi se définir comme « un symbole servant de signe de ralliement pour les jeunes. »

2. Le kiosque

 Les kiosques sont, dans le contexte de l'histoire de l'aménagement urbain de la ville de Brazzaville, le prolongement de ce qu'on nommait dans les années cinquante les Magasins témoins.

 2.1. Historique

On pourrait penser que ces Magasins témoins avaient été créés pour concurrencer le commerce local coupable de pratiquer des prix prohibitifs ou pour aider les familles qui percevaient des salaires modestes et n'avaient pas suffisamment de ressources pour se ravitailler à des prix accessibles.

Les « magasins témoins » appartenaient à la Société de prévoyance de Brazzaville. Cette dernière agissait conformément aux dispositions du Titre 1er, chapitre 1er, relatives au fonctionnement des sociétés indigènes de prévoyance (SIP) de l'Afrique équatoriale française dont voici les termes : En cas de disette, de famine et d'autres calamités, la SIP peut également venir en aide à ses adhérents par des secours en espèces, mais surtout en nature.

La création de ces kiosques était une réponse aux questions des prix raisonnables. Il s’agissait de résoudre un des problèmes de pouvoir d'achat de l'Africain moyen en lui permettant l'accès à des produits manufacturés à bon marché et, mieux, à un bon prix, surtout lorsque sonnait la dernière heure d'où l'enseigne « Ets le Dernier coup de sifflet. ».

Le kiosque est le produit de cette imagination créatrice que la ville africaine trouve pour faire face à ses difficultés. Le tableau des marchandises vendues dans les Magasins Témoins de Brazzaville dans les années 1950 montre bien la similitude avec les produits courants qu'on trouve dans les kiosques actuels.

Dans sa lutte contre la cherté du coût de la vie, le kiosque est un lieu d'observation privilégié en dehors des marchés et des autres types de commerces susceptibles de lutter contre la hausse des prix, fléau de la vie quotidienne dans l'univers urbain africain.

Dans les années 1950, les premiers kiosques étaient des points de vente de pain des boulangeries Alico, Léon, Brazzavilloise et Thonon. À partir des années 1980, l'apparition et la multiplication de ce que Joseph KI-ZERBO appelle les lumpen fast-food et les multiples innovations alimentaires qui en découlent peuvent être assimilées aux pratiques alimentaires de crise. Elles traduisent le désarroi des Brazzavillois face à la crise. Alors qu'il s'agit d’une question vitale, se nourrir en effet devient une incertitude (MAKAYA, A., 1995 : 240).

Les décennies 1980 et 1990 ont connu la profusion de plusieurs types de produits alimentaires sur le marché. Le marché s’est adapté aux consommateurs dépourvus de ressources pour subvenir à leurs besoins. Il s'agit pour ces derniers de manger au détail, c'est-à-dire « manger peu pour très moins cher ».

2.2. Lexique des pratiques alimentaires à Brazzaville[1]

 2.2.1. Plats à emporter

 Ya Jean

Viande cuite découpée en petits morceaux avec beaucoup de graisses (d'après la célèbre chanson zaïroise) faisant état de la complainte d'une dame abandonnée par Jean, le grand frère, l'aîné « Ya ». Par une substitution trahissant l'acuité de la crise, les consommateurs ont surnommé « Ya Jean » les morceaux de viande de troisième catégorie qu'on consomme rapidement. Coupés, on les appelle aussi « sel-piment » parce que cette viande cuite découpée est accompagnée généralement, selon le goût, d'une petite poignée de sel et de piment séché moulu.

 Homme des masses

Morceau de poisson braisé, généralement du chinchard : on y relève une connotation politique de ce surnom que les Congolais avaient accolé au Président de la République.

Le chinchard est appelé aussi :

- au Congo « Sansa Bala » (littéralement nourrir les enfants) ; son prix bon marché permet aux familles modestes de nourrir leurs enfants sans se ruiner ;

- en République démocratique du Congo « Mosseka », (belle jeune fille), et « Thomson ».

Nzenga :

Morceau de « chicouangue » coupé et vendu hors de son emballage de feuilles.

Zenga :

Croupion de dinde congelé.

Œufs durs :

Vendus « à la sauvette ».

Capas :

Viande avec graisse.

 2.2.2. De nouveaux aliments

L’urbanisation, le développement du salariat et l’importation de produits manufacturés ont provoqué de profondes modifications dans les comportements culinaires.

2.2.2.1. Les aliments industrialisés

 La décadence industrielle comme l'appelle Jack GOODY (1984), après avoir frappé l'Occident, approvisionne désormais les pays en développement. À Brazzaville, sur les étalages des petites boutiques, des kiosques et dans les marchés sont alignées des boîtes de corned-beef, de sardines, de concentré de tomates, de lait concentré ou en poudre, de café soluble, de margarine, des bocaux de confiture, des paquets de riz, de pâtes, de sucre, de biscuits, des bouteilles d'huile, du sel, du poivre, des cubes de bouillon, du thé, etc.

 2.2.2.2. Les préférés

Certains produits ont réussi à s'imposer sur toutes les tables des consommateurs congolais : le pain, les boîtes de sardines, le corned-beef, etc. Ces produits industriels font désormais partie intégrante de l'alimentation congolaise même dans les villages les plus reculés. Ils sont notamment appréciés par les célibataires ou par ceux qui n’ont pas les moyens de consommer les produits frais tous les jours. Leur atouts est le prix et la simplicité d'usage. Le modèle alimentaire des Brazzavillois a ainsi ouvert les portes au « petit monde d'Appert ». En effet, Nicolas APPERT est celui qui, en inventant en 1795 les conserves de l'industrie moderne, puis en 1814 le bouillon cube, révolutionna l'alimentation mondiale. Par ailleurs, à côté des nganda et des kiosques, on peut désormais se désaltérer en consommant des sodas Coca-Cola, Fanta, Tonic, ou s'enivrer avec des bières en bouteille ou en cannette, symboles de la globalisation des habitudes alimentaires.

 3. La notion du kiosque dans le contexte congolais

Édicule en tôles ou en planches où l'on vend des conserves, des cigarettes, des sandwichs, etc. (Dictionnaire Hachette, 1991), le mot kiosque renvoie au Congo à une triple réalité, qui est à la fois économique, culturelle, et politique.

3.1. Définition du kiosque

Pour Ambroise QUEFFELEC (1990), un kiosque est une petite construction en planches et/ou en tôles, ou simple table pliante démontable, où l'on vend quelques marchandises diverses (essentiellement des cigarettes et des bonbons, etc.

Le mot et la chose participent donc du processus de l'urbanisation de Brazzaville. Le kiosque fait partie d'une certaine couleur locale dans le vécu quotidien des citadins de la capitale congolaise. Chacune de ses composantes fait comprendre le recours à ce signifiant qui, a priori, jure avec les pratiques commerciales et, de ce fait, s'inscrit dans l'évolution générale de la ville à travers une relative stabilité sociale.

3.2. Un lieu économique : un lieu d'approvisionnement

Par kiosque, on entend d'abord un lieu d'approvisionnement. Il s'agit d'un local de fortune, édifié plus ou moins sommairement, généralement sans autorisation, pour répondre aux besoins d'une clientèle ponctuelle. Certains kiosques « rampants » ont accompagné des entreprises de construction au gré de leurs pérégrinations à travers les différents chantiers de Brazzaville. Ces kiosques « ambulants » ne pouvaient rechercher un statut légal, du fait de leur extrême mobilité dans l'espace, ni s'édifier en matériaux durables et espérer répondre en même temps aux sollicitations d’une clientèle nomade. Aussi c’est avec des matériaux légers de récupération que se sont construits les premiers kiosques, les gérants comptant sur la « solidarité de classe » pour assurer la propagande de leur négoce.

Du point de vue physique, le kiosque est fabriqué avec des matériaux de récupération : carton d'emballage, tôle ondulée « réformée » après de loyaux services sur d'autres toits, contre-plaqué, rebut de planche et de chevron, etc. Ils sont assemblés pour construire un abri, un petit baraquement appelé « établissement commercial ». Plantés dans la rue ou donnant sur la rue, leur superficie au sol dépasse rarement 3m². Ils peuvent être stables ou portatifs.

 3.3. Kiosques stables et/ou portatifs

Le kiosque stable est celui qui reste fixe, pendant une longue période sur un même lieu. Le kiosque portatif est une sorte de petit étal que l'on peut plier et emporter après la journée de vente. Portatif ne veut pourtant pas dire ambulant. Les propriétaires de ces étals se fixent souvent en un lieu précis, public de préférence, très fréquenté : station de bus, hôpital, port, chantier, école, cinéma, stade, entreprise, administration publique... Ils les exploitent de façon plus ou moins permanente. Le kiosque n'est pas seulement un « objet » qui s'approprie physiquement un espace public (la rue, en l'occurrence) mais, surtout, il l'occupe par ses images, son discours, ses inscriptions, son décor. La littérature de ces kiosques ne répond pas souvent à des préoccupations simplement publicitaires. Elle est le support d'un mode d'expression des jeunes urbains, un livre ouvert sur le quotidien et l'imaginaire.

 4. Les petits métiers et leur impact socio-économique

 Le marché, institution commerciale de première importance, est en même temps un des indicateurs privilégiés de l'activité économique du pays. Il est en outre un pôle essentiel de la vie quotidienne. On vient s'y approvisionner chaque jour pour satisfaire ses propres besoins, mais aussi pour revendre au détail dans les rues ou sur les étals de fortune.

Au Congo, à l'époque coloniale, le marché était l'unique lieu où les populations autochtones pouvaient exercer une activité commerciale en ville. Il avait une position centrale et desservait des quartiers peu étendus. Au fil du temps, l'extension du tissu urbain a provoqué l'éclatement des lieux de vente. Après le marché central, sont apparus des marchés secondaires, puis de multiples points de vente le long des parcelles, dans les avenues, les places publiques, etc.

Le marché est donc l'expression socio-économique de la vie urbaine. Par son implantation, il génère un type d'activité dans lequel des jeunes désœuvrés, « rebuts » du système éducatif sélectif et discriminatoire, et des adultes en quête d'emplois sont nombreux. Ils en tirent des revenus de subsistance. À juste titre, Pierre VENNETIER (1976) note que « L'afflux des migrants et la croissance démographique naturelle de la population urbaine jettent sur le marché une masse de demandeurs d'emplois bien supérieure au nombre de places libérées ou créées. »

Michel KONGO (1975) constatait que l'accroissement de la population active à Brazzaville avait largement dépassé celui de la création d'emplois. La situation s'est très sensiblement dégradée au début des années 1970 eu égard à une conjoncture économique difficile. Néanmoins, la présence des marchés, de ports et de points de vente de matériaux de construction permettait aux citadins et aux néo-citadins en quête d'emploi d'avoir une occupation rémunératrice appelée « petit métier ».

CABANNES et MORICE (1985) définissent les petits métiers comme un secteur informel ou non-structuré qui comprend l'ensemble des activités exercées sur une petite échelle, sans recours au salariat ni à la comptabilité et situées plus ou moins en marge de tout statut juridique.

Les kiosques sont des commerces de petit et micro détail spécialisés en général dans la vente de produits uniquement manufacturés. À Brazzaville, la destination des kiosques s'est beaucoup élargie depuis leur apparition. Cela a entraîné une typologie des kiosques. Cette multiplication des échoppes peut se lire et s'observer dans les enseignes des commerces. À travers ces échoppes, on distingue des étals qui vendent les plantes médicinales. Celles-ci se situent généralement à l'entrée des grands marchés de Brazzaville et également aux grands carrefours du « centre-ville », de la « ville européenne ». En effet, l'organisation de la cité est comparable à celle de la plupart des capitales africaines : un centre européen, le « Plateau », siège des commerces de type européen et des administrations publiques, encadré de quartiers africains disposés de façon concentrique. À Brazzaville, ces étals étaient situés au carrefour de l'avenue de la Paix et de l'avenue Paul DOUMER, près de la gare Chemin de Fer Congo-Océan (CFCO) des voyageurs, à la Grande Poste et dans l'avenue MALAMINE.

Alain DIAFOUKA[2] et Mesmin BITSINDOU[3] ont recensé 51 plantes spécifiques vendues sur ces échoppes. Elles sont utilisées pour le traitement de diverses maladies courantes. L'inventaire de ces produits vendus à travers les kiosques montre que « L'avenir des forêts tropicales et des peuples forestiers se joue essentiellement en ville. Les populations citadines, de plus en plus importantes démographiquement, emploient les produits forestiers d'une manière peu harmonieuse avec une politique de développement durable. La crise économique dans les villes en Afrique, caractérisée par le déboisement et la disparition des espèces, risque de s'accentuer et donc d'avoir un impact négatif sur les relations entre peuples forestiers et leur environnement les répercussions économiques qui en découlent, peuvent être dramatiques. » (APFT[4], Centre d'anthropologie culturelle, ULB, 1995). Ce constat de l’APFT, réseau de chercheurs dans le domaine de l'interface ville-forêt, s'éclaire à travers la déclaration suivante faite à la Conférence économique de la région du Pool sur les entraves et les atouts à la croissance économique (du 9 au 16 mars 1996 à Kinkala, Congo) : « Le Pool déverse sur Brazzaville en moyenne 125.000 tonnes de bois et 21.000 tonnes de charbon par cycle bi-annuel, correspondant à une déforestation d'environ 3.000 hectares par cycle bi-annuel (…) Le seul commerce de bois de chauffe et de charbon rapporte près de 5 milliards de F.CFA à la région. À cette allure, si l'on y prend garde, le Pool pourrait être décimé dans les cinquante ans à venir et devenir un désert… »

Cette tendance continue, c'est pourquoi on trouve à côté de certains kiosques du bois de chauffe conditionné par petits fagots, trois ou quatre fragments obtenus en refendant les rondins déjà coupés en morceaux de trente ou quarante centimètres de longueur et du charbon de bois vendu dans de petits sachets en plastique.

L'urbanisation, en engendrant de multiples petits métiers et commerces, a donné naissance à toute une variété d'échoppes spécialisées par des produits ou des services. Ces échoppes déclinent ainsi tous les corps de métiers situés dans les rues, les avenues ou les grandes places.

5. Typologie des échoppes

L’univers du kiosque brazzavillois est très varié.

 5.1. Kiosque d’alimentation générale

En plus du kiosque d’alimentation générale spécialisé dans la vente de produits alimentaires manufacturés (conserves et autres) plusieurs autres aux noms évocateurs appartiennent à cette catégorie :

-  le kiosque du fast-food : « Établissements Feu-Vif Grill », « Établissements Sel-Piment » ;

-  le kiosque à pains ou à sandwichs ;

-  le kiosque à cigarettes dont l’activité est la vente exclusive de cigarettes en gros ou demi-gros, voire à l’unité : telles les enseignes « Tabac », « Mustang », « Le Fumigène », etc.

5.2. Kiosque et échoppe multiservices

Un autre type de kiosques est également présent dans le paysage brazzavillois : le kiosque de service. Celui-ci offre une multitude de services parmi lesquels on recense :

-  l'échoppe du photographe. Il s'agit essentiellement de kiosques qui vendent des pellicules, délivrent des photos (développées dans les laboratoires du centre-ville) et font des portraits.

-  Exemples : « Établissements Photo Gaullois », « Photo couleur-L'œil de la République ».

-  le kiosque à journaux. L'avènement de la démocratie a favorisé l'éclosion d’une multitude de journaux indépendants.

-  le kiosque à photocopie et plastification de document ;

-  les échoppes de coiffeurs : exemple « À la beauté tout Brazza » ;

-  l'échoppe du tailleur : « Établissements Grand Prêtre », « La Redoute Mode », « Chez Valantino », « Établissements Dieu ne dort pas », « Couture mixte chez Maître Eddy » ;

-  l'échoppe des produits religieux : « Le Bain purificateur ». Le Brazzavillois est tout à la fois chrétien, animiste et porté vers la modernité. Et le propos de Martial SINDA, dans le Messianisme congolais (1972) reste d'actualité : « Les noirs christianisés et formés à la française ou à l'européenne, n'hésitent pas à concilier les religions catholique, protestante ou salutiste avec les livres de magies blanche, arabe, hindoue, qui ont un grand succès en Afrique et encombrent souvent les services des colis postaux ».[5]

 6. Un lieu de culture

 La dimension culturelle est tout aussi évidente dans le kiosque que l'économique. La satisfaction biologique fait place à un besoin de communication, d'information, de rencontre, d'échange et de culture.

Cette fonction culturelle, mise en scène à travers les devantures de ces petits commerces, y est tout à fait manifeste. On peut citer par exemple le kiosque « Établissements Bimo Kono Kwa » qui veut dire « simple bavardage ou conversation sans fin ». Ce nom kongo vient du verbe moka = converser, bavarder et du substantif bimokono qui signifie action de bavarder ; d'où le sens de lieu de bavardage, lieu de conversation.

Ainsi à ce kiosque, on se retrouve surtout pour bavarder de tout et de rien, pour passer le temps. Ce bavardage, moyen informel d'échanges, prend la forme d'un rite régulier, programmé même, chez certains « clients » familiers. Le kiosque devient alors un médium de structuration du vécu quotidien, par lequel s'élabore et s'organise des stratégies pour une meilleure intégration à la vie urbaine qui engendrera une solidarité active en direction des autres. Vincent de GAUJELAC et Isabel LOBOADA LÉONETTE, abordant l'importance du lien social et de l'intégration dans un tissu relationnel (renouant avec la tradition durkheimienne), parlent de la lutte des places (1994) : « C'est une lutte d'individus solitaires contre la société pour retrouver une « place », c'est-à-dire un statut, une identité, une reconnaissance, une existence sociale. » (DURKHEIM, 1932)

La communion qui s'y dégage débouche sur un type de communauté qui n'a de sens qu'inscrit dans un lieu-lien proxémique : « c'est l'espace local qui fonde l'être-ensemble de la communauté. » (MAFFESOLI, 1979)

En matière d'information, c'est au kiosque où l'on peut lancer un appel pour trouver un logement économique lorsqu’on qu'on vit chez un parent qui commence à trouver votre présence encombrante, ou pour obtenir des tuyaux pour entreprendre une activité. C'est là où on cherchera un emploi pour un « frère » débarquant du village, où on apprendra des nouvelles d’autres quartiers, du village, ou d'« Ailleurs  », où on commentera avec passion et subjectivité les résultats sportifs du week-end avec l'intention parfois avouée de provoquer une réaction adverse afin de trouver un exutoire pour se défouler, pour manifester sa colère, pour exprimer ses ressentiments.

L'effet de divertissement sous-jacent à ces discussions est souligné soit par la musique de danse, soit par la radio que peu de personnes écoutent, soit par une autre forme d'animation improvisée par des spécialistes de récits humoristiques.

À l’origine, le kiosque a rassemblé des jeunes faisant partie des clubs d'un type particulier que Brazzaville voit proliférer dans les années 68-70. Des groupes de cinq à dix jeunes s'intitulent les « Poulains », les « Dauphins » ou les « Copains ». C'est l'époque de la « paire-basse blanche » (mocassins blancs à semelle très basse). La SAPE, nourrie par la vague yé-yé parisienne, est véritablement née. Après les « Jeunes premiers », dont la focalisation sur le prêt-à-porter avait amené le gouvernement à fermer la maison « Tissus KM » qui les approvisionnait, les jeunes sapeurs se retrouvent au domicile d'un des membres du club. Le désir permanent de paraître et la manière de se vêtir constituent l'unique critère d'« adhésion ». À cet indice vestimentaire s'ajoute le langage.

Pour le caractériser, Georges BALANDIER a donné son appréciation : « Le langage des « sapeurs » est une véritable création (…) il déplace les significations, il différencie et initie à la participation à une culture jeune singulière. Il donne de la saveur au parler (…) s'il s'agit de jeu, celui-ci est sérieux et son enjeu s'exprime en poids d'existence... » (BALANDIER, G., 1989 : 7)

La langue des « sapeurs », adoptée par les « gens du kiosque », est celle qui doit permettre de communiquer. Certains mots ont un pouvoir affectif considérable. L'image de l'Occident (l’Eldorado ») présente dans l'esprit de beaucoup de jeunes candidats au départ, comporte très peu ou presque pas d'éléments négatifs. Tout est rose.

Poto, Miguel, Nord, Paname, Mikili (le monde), Lola (le paradis), Gâna Mamba (à la source) sont les différents termes par lesquels les Congolais désignent l'Occident en général, l'Europe en particulier. Ces mots connotent un imaginaire réel. Ce parler encore en usage aujourd'hui se renforce. Les jeunes ont leur argot. Ils usent de métaphores souvent ironiques. Ce discours est alimenté par des photos, des vidéos, des lettres en provenance de Paris et autres villes européennes (Londres, Bruxelles, Rome, Madrid, etc.), du web (You tube), etc.

À travers ce langage existe un art de vivre, une stratégie de la « feinte », mot employé souvent au Congo. « On feinte », à travers cette envie du kiosque, pour essayer d'aller à la rencontre de l'autre à l’image des « Établissements Le Flamboyant ».

 7. Un forum politique

 Si l'on considère le concept de politique au sens large comme la chose de la cité, on peut alors affirmer que le kiosque est non seulement politisé, mais qu'il est militant, en tant que pôle de convergence de groupes sociaux amenés à débattre des problèmes qui les concernent, ou dans lesquels ils sont impliqués aux différents échelons de la vie en famille, professionnelle, estudiantine et nationale. Ainsi, ces forums populaires qui se multiplient dans les villes d’Afrique, à Brazzaville notamment, reprennent sans doute à leur manière l’espace démocratique qui s’ouvre peu à peu à eux avec la liberté de pensée et d'expression qu'il apporte. Les propos tenus par ces « kiosqueurs » n'épargnent aucun domaine de la vie nationale et internationale. Les décisions des conseils des ministres, les mutations culturelles, la baisse du pouvoir d'achat, les détournements de fonds, les matchs de football, les élections françaises, sont commentés avec force et détails. Il se créé incontestablement une prise de conscience collective qui dépasse les cadres étroits de l'ethnicité grâce aux échanges constants des points de vue, à la circulation des informations et aux formes de solidarités diverses qui se poursuivent en dehors des environs du kiosque.

À la lumière de ces données, peut-on conclure que le kiosque est un foyer d'expression politique en milieu urbain ? On serait tenté de l'affirmer. En effet, à Brazzaville, lors de l’élection présidentielle en août 1992, de nombreux kiosques étaient devenus des « Ambassades », « Royaumes », « Place de la République », à la gloire des divers candidats.

Cela mérite explication. L'imagination débordante de la jeunesse congolaise en cette période électorale lui avait inspiré ces curieuses innovations. Ainsi les militants ou sympathisants du Parti Congolais du Travail (PCT), parti au pouvoir jusqu'en 1992, ont été les premiers à ouvrir des « Ambassades » à l'entrée desquelles étaient exposées les photos de leur candidat, de leur idole, Dénis SASSOU NGUESSO. Ceux qui soutenaient l'action d'André MILONGO, Premier ministre de la transition, avaient installé des « Place de la République » éclairées par des lampes-tempête (nom de marque devenu terme générique, lampe à pétrole munie d'une mèche qui fait remonter le pétrole), le signe du candidat. Tandis que du côté du MCDDI, le parti de Bernard KOLÉLAS, on a remis les « Royaumes » au goût du jour. Activité scientifique oblige, le professeur de génétique Pascal LISSOUBA a vu les siens installer des « Laboratoires » à chaque échoppe, ce qui cadre avec le tempérament ou le portrait type du leader dont elle vend l'image.

De nombreux groupements de « Kiosqueurs » sont devenus permanents et ont évolué en dehors de leur cadre de naissance. Ainsi, les visites réciproques que les associés se rendent lors des funérailles, des mariages, les prêts d'argent qu'ils consentent à se faire mutuellement, les diverses formes d'entraide directe ou par personnes interposées qu'ils pratiquent, font des kiosques de véritables creusets de solidarité urbaine. La convivialité du kiosque, en réunissant différents jeunes de multiples ethnies, contribue sans aucun doute à la formation progressive d'une conscience collective. Au kiosque, on réalise avec les autres qu'on est assujetti à des besoins aux contraintes identiques, qu'on est écrasé par les mêmes préoccupations urbains (transport, chômage, nourriture, maladie, décès, etc.). Alors on découvre la similitude de sa condition avec celles des autres, une égalité collective face à d'autres inégalités sociales. N'est-ce pas là que s'enclenche la fraternité de classe ?

 8. Les kiosques : relais de socialisation

Les kiosques ne sont pas de simples objets disséminés dans le parcours quotidien dont la pratique relève de la seule fonctionnalité. Ils jouent en fait le rôle de relais entre les jeunes et deviennent des « lieux de discours. » Les kiosques s'approprient des espaces et cette « consommation ostentatoire de l'espace » agit comme ostentation de pouvoir (BOURDIEU, 1993). Dans cette culture urbaine où tout se mélange et se superpose dans l'humour, la gouaille, la devanture du kiosque est un spectacle. À travers l'analyse des supports de la pratique du kiosque on voit à l'œuvre une série d'actes rituels rattachés à une sociabilité juvénile qui, de fait, parce qu'elle se manifeste dans la rue, se trouve assimilée à une marginalité.

La ville, on le voit bien là, est d'abord espace à construire ou à reconstruire, lieu à remplir de sens, lieu de relations symbolisées entre ceux qui y résident et y circulent. Aujourd'hui, dans tous les quartiers, tous les infimes objets, tels que les kiosques, sont porteurs de sens « ce qu'on découvre c'est une société, c'est-à-dire des ensembles organisés et hiérarchisés où les notions de différence et d'altérité ont un sens. » (AUGÉ, M., 1994 : 3)

 

[1] Cf. MAKAYA, Alphonse, 1995.

[2] Chercheur au Centre d'études sur les ressources végétales (CERVE) à Brazzaville.

[3] Doctorant au Laboratoire de botanique systématique et de phytosociologie de l'Université Libre de Bruxelles.

[4] Avenir des peuples de forêts tropicales – Centre d'anthropologie culturelle, ULB.

[5] SINDA, Martial, (1972), Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Paris, Payot.

 

 

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