Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

CesbcPresses : Indicateur éditeur : 979-10-90372

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L'écologie à géométrie variable

 

Lors du Sommet sur le développement durable, tenu en septembre 2015 à New York, les 193 États Membres de l'Organisation des Nations Unies ont adopté officiellement un nouveau programme de développement durable intitulé « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l'horizon 2030 ». Les pays développés importent des pays en développement une part importante de biens et services dont ils ont besoin pour leurs consommations directes et indirectes. De ce fait une partie de leur empreinte écologique se manifeste dans les pays producteurs notamment l’huile de palme, le soja, le bois, etc. Il est légitime qu’ils essaient de réduire cette empreinte. Pour les pays développés, « le développement des énergies renouvelables durables et la réduction des émissions de gaz à effet de serre constituent des enjeux essentiels pour la protection de l'environnement, en particulier dans le secteur des transports qui est la principale source d'émissions de gaz à effet de serre et de pollution de l'air » et en dressant, si nécessaire, des barrières tarifaires et non tarifaires pour décourager l’importation de produits « nocifs » pour l’environnement et la santé publique comme l’huile de palme. Cependant, ils ne s’embarrassent pas d’exporter vers l’Afrique et l’Asie du Sud-Est une « pollution dévastatrice » qui empoisonne les populations et détruit irrémédiablement l’environnement de ces pays. Alors l’« écologie serait-elle à géométrie variable ? ».

1. L’exploitation pétrolière dans le delta du Niger

L’exploitation pétrolière en pays Ogoni dans le delta du Niger au Nigeria par deux « majors » européens est responsable d’une catastrophe écologique majeure dans l’indifférence quasi générale de la société civile et autres activistes de l’écologie des pays développés ? Des enquêtes menées par des acteurs variés ont conclu que depuis des décennies, les déversements d’hydrocarbures ont transformé le delta du Niger en l’un des endroits les plus pollués de la planète.[i] La pollution est observable sur la totalité de la région du delta, un écosystème qui abrite l'un des plus vastes marécages à mangrove du monde et jadis riche en biodiversité marine. Selon Amnesty International, depuis plus de 50 ans, le delta du Niger est le théâtre d’une pollution colossale qui couvre une surface égale à la superficie du Portugal. Nappes phréatiques et air pollués, végétation détruite, les résultats d’une étude du PNUE sont particulièrement alarmants, tant pour l’environnement que la population[ii]. Selon ce rapport, les dégâts sur l’environnement sont tels que la dépollution de la région du delta du Niger pourrait nécessiter la plus grande opération de nettoyage jamais entreprise ; elle pourrait prendre 30 ans voire plus.[iii] Toujours est-il les populations de cette région paient un lourd tribut du fait de cette pollution. On n’a pas entendu les activistes des pays développés demander d’arrêter de consommer le carburant produit par Shell et ENI, les responsables désignés de cette catastrophe.

2. Les déchets toxiques transportés par le Probo Koala

De même comment expliquer le fait que les pays développés cherchent à bannir l’huile de palme au nom de la protection de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique alors que, dans le même temps, ils transforment les pays d’Asie et d’Afrique en poubelle en y exportant des déchets dangereux malgré la Convention de Bâle qui interdit depuis 1989 l'exportation des déchets vers des pays tiers?[iv] Ces déchets qui présentent des risques sanitaires et environnementaux finissent dans la nature, polluant l’air, les sols, les rivières, les eaux stagnantes et les eaux souterraines, déséquilibrant ainsi les écosystèmes aquatiques et empoisonnant les populations comme c’est le cas en Côte d’Ivoire, au Ghana et dans bien d’autres pays d’Afrique subsaharienne.

En Côte d’Ivoire dans la nuit du 19 au 20 août 2006 des déchets toxiques transportés par le Probo Koala, navire en provenance d’Amsterdam affrété par la société Trafigura[v] étaient déversés à Abidjan causant la mort d'au moins 17 personnes et l'intoxication de plus de 100 000 autres.[vi] Les déchets toxiques « renfermaient un mélange alcalin d’eau, d’essence et de soude caustique et auraient libéré de nombreuses substances chimiques toxiques dont du sulfure d’hydrogène ».[vii] Beaucoup de personnes traineront des séquelles à vie.

3. Les déchets électroniques de la décharge d’Agbogbloshie à Accra (Ghana)

Au Ghana, ce sont en moyenne 40 000 tonnes de déchets électroniques qui arrivent illégalement chaque année dans le pays. Ces déchets échouent à Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra. Selon Pure Earth (anciennement Blacksmith Institute) une ONG britannique, Agbobbloshie est la plus vaste décharge de déchets électroniques et la zone la plus polluée au monde, devant Tchernobyl.[viii] Des études menées auprès des milliers de personnes qui travaillent ou vivent de la décharge montrent que ces derniers sont particulièrement exposés, avec les conséquences sanitaires qu’on imagine. Une partie des effluves chimiques se répand sur les sols et causent des dégâts environnementaux irréparables.[ix] On pourrait citer ces exemples par dizaines à travers toute l’Afrique, des côtes du golfe de Guinée et de l’Océan Indien aux pays continentaux comme le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Mali, le Niger, etc.

4. La pollution provoquée par l’extraction du cobalt

Enfin l’extraction du cobalt et du lithium deux métaux nécessaires à la production des batteries lithium-ion des tablettes, smartphones et voitures électriques génère d’importants impacts environnementaux, sociaux et sanitaires. S’agissant du cobalt, en République démocratique du Congo (60 % de la production mondiale), l’exploitation artisanale a recours au travail des enfants utilisés comme « creuseurs », dans des conditions épouvantables. Dans un rapport publié en 2015, intitulé Voilà pourquoi on meurt. Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt, Amnesty International et African Resources Watch (Afrewatch), font état des conditions dangereuses dans lesquelles les mineurs artisanaux, dont des milliers d’enfants[x], exploitent le cobalt en République démocratique du Congo. « Le rapport retrace ensuite comment le cobalt est utilisé pour alimenter les téléphones et les ordinateurs portables et les autres appareils électroniques portables. À partir d’outils à main rudimentaires, les mineurs artisanaux excavent des pierres de tunnels creusés profondément sous la terre et sont souvent victimes d’accident. Malgré les effets potentiellement mortels sur la santé d’une exposition prolongée au cobalt, les mineurs, qu’ils soient adultes ou enfants, travaillent sans être protégés par des équipements les plus basiques. »[xi]

 5. La pollution provoquée par l’extraction du lithium

Quant au lithium, il est produit essentiellement dans l’Altiplano andin (Amérique du Sud). En effet, environ 70 à 80 % des ressources mondiales en lithium se trouvent en Argentine, Bolivie et Chili. Son extraction utilise les acides sulfurique et chlorhydrique. Elle nécessite d’importantes quantités d’eau dans des régions extrêmement arides à l’écosystème très vulnérable. L’extraction de lithium mène également à la pollution et à l’introduction de produits chimiques dans les systèmes hydrauliques, ainsi qu’à la destruction de grandes surfaces de terre dans des plaines de sel, détériorant son paysage unique. Les communautés locales résidant autour des zones d’extraction et ayant un passé d’esclavage brutal dans les mines coloniales, sont fréquemment écartées des consultations sur les activités minières. Ce déséquilibre a ainsi déjà enflammé des conflits sociaux entre les populations locales et les sociétés minières en Argentine et en Bolivie.[xii] Les processus d’extraction et de séparation nécessitent beaucoup d’énergie, de produits chimiques et d’eau. Ces extractions se sont accompagnées d’une hausse de maladies et de cancers considérables chez les populations locales.

Beaucoup de pays développés ne s’embarrassent pas d’exporter vers l’Afrique et l’Asie du Sud-Est une « pollution dévastatrice ». Cela montre la duplicité du de leur discours : d’une part on bannit l’huile de palme au nom de la nécessité de préserver la planète et le climat parce que la culture du palmier à huile est devenue un acteur majeur de la déforestation, et de l’autre, à travers des déchets dangereux, on exporte une « pollution » qui empoisonne les populations et détruit irrémédiablement l’environnement. C’est l’« écologie à géométrie variable ».

La « pollution exportée » est en contradiction avec le Programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030 dont l’objectif est la promotion du bien-être humain et du développement durable sur les plans économique et écologique au niveau national comme international. Un des principaux fondamentaux de ce programme est sa portée universelle engageant tous les pays, quels que soient leur niveau de revenu et leur statut en matière de développement, à consentir un effort global en faveur du développement durable.[xiii]

 

[i] UNEP, (2011), Environmental Assessment of Ogoniland, Nairobi.

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/03/niger-delta-oil-spills-decoders/

[ii] UNEP, op. cit., Idem, p. 24.

[iii] PNUE, Op. cit, p. 12 et p. 214.

[iv] Selon Eurostat, les exportations totales de déchets des huit principaux pays de l’Union européenne ont été de 141 millions de tonnes sur la période 2001-2016. Des contrées entières ont ainsi été transformées « en poubelle des pays développés ». Face à cette situation plusieurs pays d’Asie du Sud Est ont décidé de répondre. Le lundi 20 janvier 2020, la Malaisie a annoncé le renvoi de 150 conteneurs de déchets vers plusieurs pays, dont la France. Plus de 3 700 tonnes de déchets plastiques sont concernées par ce renvoi. Sur les 150 conteneurs de déchets, 43 proviennent de France, 42 du Royaume-Uni, 17 des États-Unis et 11 du Canada. Ce n'est pas la première fois que la Malaisie réexpédie plusieurs centaines de conteneurs vers leurs pays d'origine, dans l'écrasante majorité des cas, des pays développés. Le 31 mai 2019, aux Philippines, 69 conteneurs de déchets qui pourrissaient depuis 2014 dans le port de Subic Bay ont été rapatriés au Canada. En Indonésie ou en Thaïlande, la situation est identique.

[v] Trafigura est une société de droit néerlandais. Sa direction est basée à Londres et son principal domicile fiscal est établi en Suisse. La société est spécialisée dans le négoce et le transport des hydrocarbures. Quant au Probo Koala, c’est un navire immatriculé au Panama et appartenant à une compagnie européenne, Prime Marine Management, basée au Pirée en Grèce.

[vi] - Assemblée générale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Rapport du rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l’homme, 2008, p. 5.

- FIDH-LHIDO-MIDH, (2011), L’affaire du « Probo Koala » ou la catastrophe du déversement des déchets toxiques en Cote d’Ivoire, Avril 2011, N° 560f.

- DENOISEUX, Delphine, « L’exportation des déchets dangereux vers l’Afrique : le cas du Probo Koala », CRISP, Courrier hebdomadaire du CRISP », 2010/26 n° 2071, pp. 5 à 47. Article disponible en ligne à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2010-26-page-5.htm

[vii] Idem, p. 5.

[viii] PURE EARTH, « Report from Agbogbloshie, Ghana », April 9, 2010;  « Walk-Through Of Agbogbloshie E-Waste Site Spreads Message: “Burning Is Bad” ». En ligne  sur : http://www.pureearth.org/blog/update-agbogbloshie-e-waste-recycling-center-project/

[ix] Mr Mondialisation, « Des images à peine croyables de la décharge d’Agbogbloshie », Article en ligne sur : https://mrmondialisation.org/des-images-a-peine-croyables-la-decharge-dagbogbloshie/

[x] L’UNICEF estime que près de 40 000 garçons et filles travaillent en tant que mineurs artisanaux dans le sud de la RDC, pour la plupart à l’extraction de cobalt. Âgés parfois de 7 ans, voire moins, pour les plus jeunes, ces enfants endurent les souffrances épouvantables dans l'extraction de ce matériau dangereux.

[xi] Amnesty International et African Resources Watch (Afrewatch), (2015), Voilà pourquoi on meurt. Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt, Londres, p. 4.

[xii] https://www.letemps.ch/economie/lithium-cobalt-producteurs-doivent-faire-face-leurs-responsabilites

- cf. également : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/si-vous-pensez-encore-que-la-209761

[xiii] NATIONS-UNIES, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015, Rapport A/RES/70/1.

 

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