Louis BAKABADIO

 

Du rôle et de l’importance d’un think tank

dans la construction de l’émergence

(la ballade des idées)

 

 

Je souhaite tout d’abord rendre les honneurs dus ici à mes précurseurs, que sont les professeurs ELENGA GAPORO, Hilaire BABASSANA, et l’actuel Premier Ministre Clément MOUAMBA.

A ces Ainés, il faut rajouter des collègues tels que ONTSINTSEYI, Hervé DIATA, KINZOUNZA Kitsoro, DEFOUNDOUX FILA, Noël Magloire Ndoba, MWAZIBY OLINGOBA, Joseph MBANDZA, Robert SILOU,

Car au-delà, de ma personne, c’est l’École Congolaise d’Economie qui est ainsi honorée.

Cette Ecole congolaise d’Economie s’est épanouie grâce aussi au soutien et à l’ouverture intellectuelle des recteurs Daniel ABIBI et Hilaire BOUHOYI ; des vices-recteurs Sylvain MACKOSSO MACKOSSO et Alphonse EKOUYA ; des Secrétaires Généraux tels que André Patient BOKIBA et André BOUYA.

C’est le lieu de rendre un hommage mérité à ces précurseurs et facilitateurs, sans lesquels, nous ne serions peut-être pas ensemble aujourd’hui, pour disserter sur le rôle et de l’importance d’un think tank dans la construction de l’émergence.

Mais, Mesdames et messieurs, ce n’est pas de l’économie que je vais vous parler. Non, la leçon inaugurale de ce jour a pour objet d’examiner ce qu’un think tank peut apporter comme contribution à la résolution des problèmes sociétaux que rencontrent bon nombre de pays émergents.

Pour ce faire, Je commencerai par expliciter le concept de think tank, son origine, son contenu et son universalité. Ensuite, j’esquisserai son utilité dans la construction du sens, dans les sociétés dites émergentes. Il serait prétentieux de penser conclure sur une matière aussi volatile que la gestion des idées ; aussi pour ne pas conclure, j’essayerai tout simplement de vous faire goûter l’alchimie particulière de la balade des idées sur l’humaine condition contemporaine.

I. QU’EST-CE QU’UN THINK TANK ?

1.1. QU’EST-CE QU’UNE IDÉE. A QUOI SERT-ELLE ?

J’ai cherché longtemps une entrée possible, pour discourir sur ces deux mots qui agitent notre esprit ce jour : think, idée et tank, réservoir. Je n’ai rien trouver de mieux que soumettre à votre entendement cette première phrase du prologue de Saint Jean, « au commencement était le verbe ». D’aucuns disent « qu’au commencement était la parole » ; et d’autres encore, « au commencement était le logos ». Verbe, parole, logos ! 3 mots précédés de deux autres, commencement, et le verbe être. Cinq mots !

Au commencement ! Au début de toute chose, au début de toute action. On pourrait dire également, à l’origine ou le point de départ. A l’origine donc, il y a le verbe, la parole ! A l’origine, le verbe est, la parole est. Ah, ce verbe être ! Il a ici un sens substantiel ; il exprime une immédiateté. Le verbe, la parole est au commencement ! Mais c’est quoi ce verbe, c’est quoi cette parole ? Vers l’an 600 avant Jésus Christ, Héraclite utilisa, le premier, le terme Logos « pour désigner la raison divine ou le plan qui coordonne un univers changeant ». Pour Héraclite, le logos est parole ; mais pas seulement ; c’est une parole qui implique une conception, une idée. Comme dans la pensée juive, le logos, c’est une parole qui crée une nouvelle chose. Ainsi, l’acte de dire, c’est l’acte de créer ». Et nous pouvons affirmer avec les historiens que « depuis le jour ou l’Homme à commencer à parler, les mots, la langue, les langues, le verbe sont devenus le moyen par lequel l’homme a inventé le monde ».

Mais, pourquoi l’homme parle-t’il ? « L’homme parle parce qu’il a des idées et que parler, c’est toujours peu ou prou dire l’idée que l’on a derrière la tête ». Ainsi, la parole sort l’idée de l’enfermement de la solitude mentale. Une idée est, et reste une représentation mentale ; elle est là, sobrement tapie dans la tête de celui qui pense ; elle attend d’être extériorisée par le verbe, non pas pour elle-même, mais pour l’action. C’est ce qui fait dire à Platon que « l’idée est le modèle des actions à entreprendre ».

L’idée est non seulement le résultat de « l’effort de production conceptuelle fourni par un individu, elle est aussi le résultat de cet effort, la trace matérielle laissée par sa formulation. En disposant d’une idée, l’esprit forme une représentation, identifie un contenu mental bien déterminé, produit ″l’image d’une chose″ », comme le dit Descartes.

Descartes ! Mais d’où lui est venue l’idée selon laquelle « je pense donc je suis » ? Je suis ! Ah, ce fameux verbe être ! Souvenez-vous, Mesdames et messieurs, au commencement était ! C’est Heidegger qui donne du sens à ce verbe. Etre-là, dans son sens actif, c’est être « présent au monde en y existant », « in der Welt sein, l’Etre -dans-le-monde, irrémédiablement engagé dans le monde. Le sujet [qui] ne peut jamais se retirer du monde ». Parce que l’homme a devant lui « toute l’étendue du possible », alors il pense ces possibles ; il existe par cette capacité à générer des idées du possible ; il pense parce qu’il est ; parce qu’il est acteur transformationnel ; alors pardon à Descartes, je suis, donc je pense. Parce que je suis, je génère des idées.

Ainsi, je viens simplement de démontrer qu’au commencement était l’idée, sous forme de verbe, ou rendue intelligible par le verbe ; et que l’idée conduit à l’action, à une réalisation. Par exemple, quand Dieu formula l’idée de la lumière, il dit (verbe, parole, logos) Fiat Lux, que la lumière soit, et la lumière fut.

En d’autres termes, la capacité transformationnelle d’une société réside d’abord dans sa capacité à générer des idées.

Générer des idées ! plusieurs idées ! les stocker, les confronter les unes aux autres ! Puis définir des possibles ! choisir un possible ! il faut un endroit, un système, une organisation, des ressources humaines ! il faut un tank, un réservoir, une boîte, une boite à idées, un think tank.

I.2. DE L’IDÉE À SA MASSE CRITIQUE : LE THINK TANK

Mesdames et Messieurs, qui, dans sa jeunesse n’a pas regardé un film sur la guerre mondiale ! Qui n’a pas vu « le jour le plus long » ! Ah ces tanks (c’est comme ça que l’on disait à l’époque) ! Ces panzers terrifiants !

En réalité, les militaires, et particulièrement le colonel britannique Swinton, n’ont fait que détourner le mot tank de son usage premier, qui est réservoir d’eau. En effet, soucieux de conserver le plus grand secret sur le premier véhicule militaire armé conçu par ce colonel, il eut l’idée de l’appeler tank, réservoir d’eau, pour faire croire qu’il s’agissait de fournir de l’eau par des moyens tractés aux soldats engagés sur le front mésopotamien.

De ce clin d’œil aux militaires, il y a lieu de retenir que pour gagner une bataille, il faut, entre autres, un réservoir d’eau. On dit que l’eau, c’est la vie. De même, l’idée, ou plutôt les idées font le devenir des nations ! Souvenons-nous de la crise pétrolière de 1973 ! Quelque part dans le septentrion, un dignitaire avait dit que son pays n’avait pas de pétrole, mais avait des idées ! L’un des résultats palpables de ces idées est ce qu’on appelle encore là-bas, l’heure d’été.

Les idées, il faut en générer beaucoup, pour isoler les réalisables ; Il faut donc une masse critique d’idées. Littéralement, une « masse critique » désigne un nombre, un volume ou une quantité qu’il est nécessaire d’atteindre avant qu’une réaction puisse avoir lieu. La fondation « synergie Lyon cancer » définit la masse critique comme « taille optimale d’un groupe permettant d’additionner des énergies, des compétences … afin d’atteindre un niveau d’équilibre ou de franchir une étape décisive tout en gardant de la souplesse et de la réactivité, le but étant d’aboutir à une organisation performante et pérenne, de conduire à un résultat optimal et d’atteindre les objectifs fixés».

Le problème avec le réservoir d’eau, c’est qu’il n’y a que de l’eau !

Donc, il n’y a aucune réaction à attendre de ce réservoir, toutes choses égales par ailleurs. Mais les idées, dès qu’elles sont mises ensemble, s’agitent, se confrontent les unes aux autres, se combinent parfois, pour offrir une perspective transformationnelle à la société. Dans ce réservoir qui les reçoit, et que nous appelons think tank, ou laboratoire d’idées, il se crée une sorte de densification incrémentale, une sorte d’alchimie du logos qui finit par produire une trace matérielle dans la marche d’une société.

Mesdames et messieurs, pour paraphraser Florence Bancaud et Karine Winkelyoss, nous devrions être émerveillés par ces processus un peu mystérieux qui s’accomplissent entre les idées dans un think tank, de ces lentes métamorphoses des idées qui finissent chaque fois par produire un projet de société, un plan de développement, une Constitution, un nouveau genre vie en commun (le vivre-ensemble par exemple), ou une perspective d’avenir. A titre anecdotique, et sans être spécialement branché sur la musique metal, c’est très frappant qu’un groupe de ce type de musique ait choisi comme nom l’acronyme T.A.N.K., autrement dit « think a new kind » : penser un nouveau genre ! Tout est dit, penser un nouveau genre ! Telle est la mission d’un laboratoire d’idées.

En effet, est appelée think tank ou laboratoire d’idées, toute forme d’organisation des idées, regroupant une cohorte de chercheurs, dans le noble dessein de produire, librement et en toute objectivité, des nouvelles représentations de la société, des nouvelles visions, des nouveaux modèles ou des nouveaux courants de pensée, pouvant aider à la conduite des politiques publiques ou privées, dans n’importe quel domaine de la vie nationale ou internationale, aux fins de servir l’intérêt général.

Mais, est-ce une nouvelle trouvaille, un nouveau gadget des intellectuels, pour amuser la galerie ? Est-ce un groupe d’influence, un groupe de pression ? Pour répondre à ce questionnement, examinons d’abord sa présence sur la surface de la terre.

I.3. LE THINK TANK DANS LE MONDE

La ligne discursive de ce chapitre est de montrer qu’en matière de think tank, il n’y a rien de nouveau sous la voûte du ciel ; l’homme a toujours eu recours aux laboratoires d’idées.
De 1861 à 1865, c’est la guerre civile aux Etats-Unis. Après la guerre, et comme partout dans le monde, il faut reconstruire. Et là-bas, ce sont les Etats du sud qui sont concernés. Alors, des Fondations, des corporations ou des simples individus aident le gouvernement à mettre en place des réformes. Ainsi naissent les « premières structures indépendantes dédiées à la réflexion politique et sociale, à l’administration et à la pédagogie ». Puis, se structurent des organismes de conseils et d’expertise tels que The U.S. Industrial Commission en 1892, The New York Bureau of Municipal Research en 1906, The Russell Sage Foundation en 1907 et the Carnegie Endowment for International Peace en 1910. Il faut retenir que le meilleur au monde reste sans doute le Brookings Institution, crée en 1916.

En 1925, L’Union soviétique crée l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales, qui deviendra en 1956, l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales de l’Académie des Sciences (IMEMO). Thierry de Montbrial, économiste et géopolitologue français, rapporte que « des centaines de chercheurs issus des grands think tanks soviétiques ont contribué à la transformation de la Russie dans les années qui ont suivi la chute du système ».

La Chine de Mao Tsé Toung n’est pas en reste ! Mais, ses think tank à lui sont plus idéologiques que scientifiques. Il faut attendre Deng Xiao Ping pour voir le China Institutes for Contemporary International Relations (CICIR) agir véritablement en think tank. Mais, c’est sous Xi Jinping que les think tanks ont véritablement explosé en République Populaire de Chine.

En Grande Bretagne, Madsen Pirie raconte son histoire dans son livre « C’était l’hiver 1976. Ils n’étaient que deux au départ avec seulement quelques centaines de dollars. Eamon Butler et Madsen Pirie ont fondé le Adam Smith Institute (appelé The Chatham Institue dans un premier temps) alors qu’ils n’avaient même pas de bureaux.

En quelques semaines, ils arrivent à trouver des locaux dans lesquels ils installent aussi des lits. Ils en font leur lieu de travail et d’habitation ! Économie oblige. Dans un premier temps, ils en font un Institut à caractère universitaire, avec des échanges étroits entre les milieux de la recherche académique et l’Institut. Mais ils comprennent très vite que, pour pénétrer les médias et se faire entendre, il faut vulgariser les propos.

La fin des années 1970 est particulièrement agitée avec des grèves à répétition, des syndicats étatisés et marxisants et une économie britannique complètement à la dérive. L’une des premières études (sous forme de livre) de l’ASI est intitulée « Le cheval de Troie ». Il s’agit d’une enquête sur les syndicats anglais qui ont infiltré l’industrie et qui extorquent carrément les employeurs et les pouvoirs publics. Parallèlement, le travail auprès des médias est mis au point. Des communiqués d’une page seulement doivent attirer l’attention des journalistes. Être connu et devenir public c’est la condition pour être écouté par les décideurs politiques.

Un think tank doit se faire connaître grâce à ses travaux qui font du bruit

Le ASI publie par la suite une étude intitulée « More effective than bombing » consacrée aux ravages des réglementations dans le secteur du logement. Ensuite, c’est le très célèbre « Quango, Quango, Quango » qui est en fait la liste des 3068 organismes publics et parapublics qui gaspillent l’argent des contribuables britanniques. «Quango » est la contraction de « quasi non-governmental organisation (que l’on pourrait traduire par autorité administrative indépendante) ». Le travail est publié sous la forme d’un parchemin long de plusieurs mètres. Une fois élu, Margaret Thatcher supprimera environ 436 d’entre eux…

L’Institut de Madsen Pirie s’impose donc comme un interlocuteur sérieux du nouveau pouvoir conservateur et contribuera à plusieurs réformes faites par Mme Thatcher ».

En France, le phénomène think tank est lent à prendre corps. Il faut attendre 1979 pour voir Thierry de Montbrial créer l’Institut français des relations internationales (IFRI). On peut citer des think tanks comme l’Institut Montaigne, la Fondation pour l’innovation politique, la république des idées, la Fondation Jean Jaurès, etc.

Et en Afrique alors ? Selon le rapport annuel traditionnel de l’Université de Pennsylvannie, aux Etats-Unis, sur les think tanks à travers le monde, 5 pays africains ont disposé de think tank parmi les meilleurs au monde en 2016. Il s’agit de l’Egypte, de l’Afrique du Sud, du Kenya, du Ghana, de l’Ethiopie et de l’Uganda.

Vous aurez remarqué comme moi, qu’il s’agit des pays de type anglo-saxon. Pour la zone subsaharienne, ce rapport indique que le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), basé à Dakar au Sénégal, et dont la Faculté des Sciences Economiques de l’université Marien NGOUABI est membre, « s’illustre en think tank le plus performant ».

Signalons que dans les années 2000, le Club K’Munga a joué sa petite partition dans la confrontation des idées pour une refondation institutionnelle au Congo. En outre, il est regrettable que l’expérience « Congo Vision 2025 » ait été arrêtée sine die, et que jusqu’à ce jour, les chercheurs permanents congolais qui y ont travaillé n’aient jamais été reconnus dans leurs droits.

Mesdames et Messieurs, avant d’aborder la seconde partie de cette leçon inaugurale, qui porte sur ce que l’on est en droit d’attendre d’un think tank dans la construction de l’émergence, permettez-moi d’insister sur deux ou trois choses, qui sont essentielles à mes yeux, pour qu’un think tank soit véritablement un think tank.
La première chose sur laquelle j’insiste, c’est que le think tank, c’est l’affaire des chercheurs. Ce n’est pas un club politique, ni un club d’amis. Il est le rassemblement des hommes de science et de culture, qui apportent leur savoir et leurs lumières, sur la base des compétences éprouvées, pour la résolution des problèmes qui se posent à l’humanité, indépendamment de l’idéologie ou de la propagande. En règle générale, ils sont des chercheurs permanents, pouvant être associés à des chercheurs invités.

Deuxièmement, c’est un rassemblement d’hommes libres et qui doivent jouir de toute leur liberté d’expression. En tant que membres d’un think tank, les chercheurs sont soumis à la règle de Chatham House, selon laquelle, « quand une réunion, ou l’une de ses parties, se déroule sous la règle de Chatham House, les participants sont libres d’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’affiliation des personnes à l’origine de ces informations, de même qu’ils ne doivent pas révéler l’identité des autres participants ». Cette règle facilite la liberté de dire et de dédire, sans préjudice pour soi, ni pour sa famille. On sait que d’une manière générale, les classes politiques de par le monde, n’aiment pas trop ces réunions dont on ne sait pas grand-chose ! Et la tentation est grande d’y infiltrer quelques spécialistes en fiches plutôt spéciales.

Enfin, les think tanks sont en principe, une organisation de droit privé, « fournissant des solutions relatives au bien commun, sans participer directement au pouvoir politique, ni tenter de le conquérir ». Ils ont donc « une fonction d’inspiration et d’influence ».

Alors, que peuvent apporter les think tanks dans un pays comme le Congo, qui cherche à se tracer une voie vers le développement ?

II. QUEL RÔLE DOIT JOUER UN THINK TANK DANS LA CONSTRUCTION DE L’EMERGENCE

2.1 SUR UN PLAN PUREMENT CONCEPTUEL

Sur un plan purement conceptuel, neuf (9) verbes d’action définissent le rôle d’un think tank, surtout dans le contexte de l’émergence. Il s’agit de :
Penser, débattre, repérer, évaluer, reformuler, comparer, comprendre, produire pour expliquer.

  1. Penser, c’est-à-dire générer des idées ! Non pas pour l’instant présent ! Penser l’avenir. Un think tank a l’avantage d’échapper à la dictature de l’immédiateté. Son horizon, ce n’est pas aujourd’hui ; son horizon, ce sont les futurs possibles. Une société qui ne pense pas son avenir, gémit déjà. C’est parce que nous n’avons pas pensé Brazzaville des années 2000 que les érosions nous font gémir. La pression urbaine était inéluctable ; nous n’y avons pas pensé. Pour éviter que le statu quo demeure, il faut penser. Le rôle d’un think tank, c’est de favoriser la pensée plurielle.

  2. Débattre, pour unir ce qui est épars. La science ne sort jamais achevée de la tête d’un seul penseur ; comme personne ne peut construire à lui tout seul l’avenir d’une nation. Un think tank a donc vocation à instaurer un débat de haut niveau sur des thématiques d’intérêt général, pour faire progresser la société.

  3. Repérer. La société, avec toutes ses composantes, est un vaste laboratoire d’expériences ; elle secrète des formes civiles d’organisation, qui animent une série d’activités collectives, sur les services du quotidien, sur les actions de cohésion sociale, sur l’économie durable, etc. Un think tank doit repérer ses expériences locales pour en étudier la généralisation, pour le plus grand bien du grand nombre.

  4. Evaluer. Pourquoi les chercheurs nationaux n’auraient-ils pas le droit d’évaluer les politiques publiques de leur pays, afin orienter les décisions d’avenir ? Pourquoi faut-il attendre les experts du FMI pour nous dire ce qui ne va pas chez nous ? Qu’est-ce qui empêche les sommités intellectuelles du pays d’évaluer le fonctionnement institutionnel du pays ?

  5. Reformuler. Après évaluation, pourquoi ne pas reformuler des nouvelles orientations dans la conduite des affaires publiques ? Pourquoi c’est l’extérieur qui doit formuler pour nous, les mesures de stabilisation de notre économie ?

Pourquoi ce sont ceux qu’on appelle « les partenaires au développement » qui doivent définir les termes de référence de notre prospective ?

Pourquoi la société civile ne peut-elle pas reconsidérer notre approche de la diversification économique ?

C’est une des missions d’un think tank que de repenser en profondeur les termes de référence des débats nationaux.

Je termine ce chapitre par deux verbes aussi importants que les autres : produire pour expliquer.
Traitant de ce qu’est une idée, il a été dit que la parole sort l’idée de l’enfermement de la solitude mentale. Mais, vous le savez aussi bien que moi, que les paroles s’envolent et les écrits restent.

La capacité d’influence d’un think tank se mesure aussi au volume et à la qualité de ses publications. Par exemple, la Fondation Jean Jaurès, en France, à publier en 2014, 110 notes et 15 essais. Publier et expliquer permettent de diffuser les savoirs, d’élever le niveau des débats politiques et d’opérationnaliser le futur.

Mais, Mesdames et Messieurs, j’imagine votre sublime attente : il parle, il parle ! Mais où est le Congo dans tout ça. En d’autres termes, que peut faire un think tank au Congo et pour le Congo.

II.2. CE QU’UN THINK TANK DOIT FAIRE POUR LE CONGO

Les spécialistes d’accordent pour dire que l’émergence n’est qu’une étape vers le développement. Ils s’accordent aussi sur le fait que pour y arriver, il est nécessaire d’adopter des stratégies transformationnelles dans tous les domaines de la vie en commun, publique ou privée.

Dans une publication récente, j’ai esquissé les grandes lignes de ces stratégies transformationnelles sous le titre de « Grand Remplacement ». Elles concernent principalement les changements de notre rapport à la connaissance, à la citoyenneté, à la politique, à l’argent et à l’esthétique. Il est concevable d’un think tank, se voulant force de proposition au Congo s’empare du questionnement suivant :

Quelle est aujourd’hui, l’école de l’émergence pour le développement demain ?
De quel type de citoyen le Congo a besoin, pour assurer son développement ?
Quel type de gouvernance politique à implémenter pour aller au développement ?
Quel est notre degré de recul vis-à-vis des deniers publics ?

En définitive, quelles sont « les lumières congolaises » pour le mieux-être, le mieux-vivre et pour la prospérité ?

Comme l’horizon temporel des think tanks, est le futur, on peut tomber dans la facilité de dire, on verra demain. Non ! Pour rentrer dans la sphère des pays modernes, il y a urgence, pour un think tank du Congo, d’examiner froidement et rapidement, sans fausse honte ni restrictions mentales d’aucune sorte, les questions suivantes :

La question de la bonne gouvernance institutionnelle pour approfondir la démocratie congolaise ;

La question de l’école pour le développement ;

La question du droit aux soins de santé efficients ;

La question de l’implémentation d’un système productif national ;

La question de la lutte contre la corruption ;

La question de l’Etat de droit ;

La question de la gestion efficiente des finances publiques ;

La question de la lutte contre le blanchiment ;

La question de l’éthique des services et administration publiques vis-à-vis des citoyens ;

La question de l’efficacité des politiques publiques.

POUR NE PAS CONCLURE

Exister au xxie siècle, être irrémédiablement engagé dans le monde d’aujourd’hui, c’est n’accepter ni le statu quo, ni la fatalité, parce que l’homme a devant lui « toute l’étendue du possible ».

Et, c’est le rôle primordial d’un think tank, que d’explorer constamment les rapports à tous les possibles, c’est agiter sans cesse les idées, afin de donner du sens à l’existant et se projeter dans le futur. Ne pas le faire, c’est inéluctablement ouvrir la porte à l’émergence du non devenir Être. Ne pas penser, c’est vouloir que le statu quo demeure ; ne pas permettre de penser, c’est la pire des dictatures ! Parce que seule la connaissance peut faire des Congolais des dignes membres d’une société régulièrement organisée, utiles à leurs semblables, et faisant honneur à la Patrie qui les a vus naître, ou qui a nourri leur enfance.

Mesdames et Messieurs, ce que je viens de dire, c’est ce que j’ai pensé vous dire.

Merci.