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La régulation des biens publics mondiaux en question

Jean BAKOUMA & Aimé D. MIANZENZA

Économistes, Cesbc

 

Introduction

Les préoccupations du développement durable focalisent aujourd’hui l’intérêt sur la préservation de tout ce qui a de l’importance pour toute l’humanité, c’est-à-dire des biens publics mondiaux. Or il existe une sorte « d’incongruité spatiale » entre l’économie mondialisée et ses préoccupations globales d’une part, et d’autre part, le caractère sélectif, partiel et même partial des biens à préserver.

Pendant un débat dans une université aux États-Unis, le ministre de l'Éducation Cristovam Buarque, fut interrogé sur ce qu'il pensait au sujet de l'internationalisation de l'Amazonie. La personne qui a posé la question, un jeune étudiant américain commença sa question en affirmant qu'il espérait une réponse d'un humaniste et non d'un Brésilien.

La réponse donnée par le ministre brésilien de l’éducation, au-delà des polémiques qu’elle peut susciter, est une interpellation qu’on peut qualifier d’« internationale » compte tenu des enjeux que recouvre l’internationalisation de ce qu’il appelle « tout ce qui a de l’importance pour toute l’humanité ».

Les biens publics mondiaux et leur mode régulation

Le problème soulevé en filigrane par la question posée au ministre brésilien est celui du mode de régulation de ce qu’il est convenu d’appeler depuis les travaux pionniers de Ch. Kindelberger (1986), « les biens publics mondiaux ».

La problématique des biens publics mondiaux a émergé du fait d’une double défaillance de l’action collective internationale et de son analyse théorique face aux « global concerns ».

Dans un contexte de mondialisation des marchés et de limites de l'intervention des États, de nombreux biens environnementaux, sanitaires, éducatifs, culturels ne peuvent avoir un caractère public qu'au niveau international.

Les incohérences de l’internationalisation des biens pose le débat en des termes simples. En même temps, le discours sur la nécessité d’internationaliser certains biens comme les forêts humides tropicales s’en trouve fragilisé.

Deux conceptions des biens publics mondiaux s'opposent qui renvoient à deux « anti-mondes » différents : celui du marché et celui d'un patrimoine commun et universel. Celle standard économique qui justifie l'existence de ces biens par la défaillance des marchés et celle politique qui analyse les mécanismes d'appropriation privée et publique de ces biens publics en termes d'économie politique et de patrimoine commun.

Les biens publics mondiaux sont des biens inaliénables

Les biens publics mondiaux (traduction discutée de l’anglais Global Public Goods) du PNUD sont des biens et des service auxquelles les personnes et les peuples ont droit, produites et réparties dans les conditions d’équité et de liberté qui sont la définition même du service public, quelles que soient les statuts des entités qui assurent cette mission.

Les droits universels humains et écologiques en sont la règle, les institutions internationales légitimes le garant, la démocratie l’exigence permanente, et le mouvement social la source. Partant de là, quels biens publics mondiaux revendiquer ? Quel est le statut de leur reconnaissance ?

La réponse donné par le ministre brésilien de l’éducation, au-delà des polémiques qu’elle peut susciter, est une interpellation qu’on peut qualifier d’« internationale » compte tenu des enjeux que recouvre l’internationalisation de ce qu’il appelle « tout ce qui a de l’importance pour toute l’humanité ». Cette réponse montre les incohérences de cette démarche d’internationalisation des biens. Elle a le mérite de poser le débat en des termes simples. En même temps, le discours sur la nécessité d’internationaliser l’Amazonie s’en trouve fragilisé.

La réponse de M. Cristovam Buarque

" En effet, en tant que Brésilien je m'élèverais tout simplement contre l'internationalisation de l'Amazonie. Quelle que soit l'insuffisance de l'attention de nos gouvernements pour ce patrimoine, il est nôtre.

En tant qu'humaniste, conscient du risque de dégradation du milieu ambiant dont souffre l'Amazonie, je peux imaginer que l'Amazonie soit internationalisée, comme du reste tout ce qui a de l'importance pour toute l'humanité. Si, au nom d'une éthique humaniste, nous devions
internationaliser l'Amazonie, alors nous devrions internationaliser les réserves de pétrole du monde entier.

Le pétrole est aussi important pour le bien-être de l'humanité que l'Amazonie l'est pour notre avenir. Et malgré cela, les maîtres des réserves de pétrole se sentent le droit d'augmenter ou de diminuer l'extraction de pétrole, comme d'augmenter ou non son prix.

De la même manière, on devrait internationaliser le capital financier des pays riches. Si l'Amazonie est une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d'un pays.

Brûler l'Amazonie, c'est aussi grave que le chômage provoqué par les décisions arbitraires des spéculateurs de l'économie globale. Nous ne pouvons pas laisser les réserves financières brûler des pays entiers pour le bon plaisir de la spéculation.

Avant l'Amazonie, j'aimerai assister à l'internationalisation de tous les grands musées du monde. Le Louvre ne doit pas appartenir à la seule France.

Chaque musée du monde est le gardien des plus belles oeuvres produites par le génie humain. On ne peut pas laisser ce patrimoine culturel, au même titre que le patrimoine naturel de l'Amazonie, être manipulé et détruit selon la fantaisie d'un seul propriétaire ou d'un seul pays. Il y a quelque temps, un millionnaire japonais a décidé d'enterrer avec lui le tableau d'un grand maître. Avant que cela n'arrive, il faudrait internationaliser ce tableau.

Pendant que cette rencontre se déroule, les Nations unies organisent le Forum du Millénaire, mais certains Présidents de pays ont eu des difficultés pour y assister, à cause de difficultés aux frontières des États-Unis. Je crois donc qu'il faudrait que New York, lieu du siège des Nations unies, soit internationalisé. Au moins Manhattan devrait appartenir à toute l'humanité. Comme du reste Paris, Venise, Rome, Londres, Rio de Janeiro, Brasília, Recife, chaque ville avec sa beauté particulière, et son histoire du monde devraient appartenir au monde entier.

Si les États-Unis veulent internationaliser l'Amazonie à cause du risque que fait courir le fait de la laisser entre les mains des Brésiliens, alors internationalisons aussi tout l'arsenal nucléaire des États-Unis.

Ne serait-ce que par ce qu'ils sont capables d'utiliser de telles armes, ce qui provoquerait une destruction mille fois plus vaste que les déplorables incendies des forêts brésiliennes. Au cours de leurs débats, les actuels candidats à la Présidence des Etats-Unis ont soutenu l'idée d'une internationalisation des réserves forestières du monde en échange d'un effacement de la dette. Commençons donc par utiliser cette dette pour s'assurer que tous les enfants du monde aient la possibilité de manger et d'aller à l'école.

Internationalisons les enfants, en les traitant, où qu'ils naissent, comme un patrimoine qui mérite l'attention du monde entier. Davantage encore que l'Amazonie. Quand les dirigeants du monde traiteront les enfants pauvres du monde comme un Patrimoine de l'Humanité, ils ne les laisseront pas travailler alors qu'ils devraient aller à l'école, ils ne les laisseront pas mourir alors qu'ils devraient vivre.

En tant qu'humaniste, j'accepte de défendre l'idée d'une internationalisation du monde. Mais tant que le monde me traitera comme un Brésilien, je lutterai pour que l'Amazonie soit à nous. Et seulement à nous ! "

 


 

Article précédemment mis en ligne (2010) dans la rubrique Développement durable sur http://www.cesbc.org

 

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