Aimé D. MIANZENZA

 

L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT SERT AU RENFORCEMENT

 DES RÉGIMES ILLÉGITIMES ET À L'APPAUVRISSEMENT

DES POPULATIONS EN AFRIQUE

 

 

 

Le présent article aurait bien pu être titré sous forme interrogative à savoir : " L'aide au développement sert-elle au renforcement des régimes illégitimes et à l'appauvrissement des populations en Afrique ? L'aide est définie comme un instrument planétaire de redistribution des ressources publiques. En Afrique, cette redistribution s'est faite globalement au bénéfice des régimes politiques en place. Elle a favorisé l'accumulation par les dirigeants de fortunes colossales avec la passivité coupable des donateurs qui ont souvent fermé les yeux sur la destination réelle des fonds au nom de la préservation de leurs intérêts nationaux. Elle a abouti à l'endettement des pays, et, par la suite à leur faillite. L'aide au développement est un échec. Le faible niveau du développement humain en est le résultat le plus probant.

Pendant les quatre décennies qui précèdent le nouveau millénaire, les flux financiers extérieurs pour impulser le développement n’ont pas manqué. Mais les résultats obtenus sur le plan de la croissance économique, du développement humain et démocratique, et de l’intégration du continent à l’économie mondiale sont dans l’ensemble médiocres. Face à cet échec, les principaux bailleurs de fond ont commencé à définir des nouveaux paradigmes pour un financement international destiné à soutenir un développement économiquement efficace, écologiquement et socialement soutenable. Ce développement est-il démocratiquement fondé quand on sait que l’aide a servi à conforter des régimes politiques devant servir les intérêts des grandes puissances au détriment de leurs propres populations ?

Pour comprendre l'aide au développement et son impact, il est nécessaire de revenir à ses origines.

Première partie

L'aide au développement est polymorphe. Ses composantes sont multiples : assistance technique, coopération militaire, subventions au budget de fonctionnement, bourses d'étude, crédit d'achat, annulation de la dette, etc. L'investissement  direct extérieur a été également considéré, un moment,  comme faisant parti de l'aide au développement. Le caractère polymorphe de l'aide au développement rend le contenu de celle-ci difficile à cerner et son évaluation peu aisée.

L'aide au développement est un instrument de redistribution planétaire de ressources publiques (CHARNOZ et SEVERINO, 2007). Elle s'est développée dans le contexte de la guerre froide et de la décolonisation. Elle a longtemps été dispensée sans discernement pour des raisons historiques, idéologiques, de traditions chrétiennes, moins pour des raisons économiques. En conséquence, les donateurs ont souvent fermé les yeux sur la destination réelle des fonds. L'exemple le plus souvent cité dans le passé est celui du Zaïre du Maréchal Mobutu Sese Seko.

1. Les fondements historiques de l'aide au développement

Une analyse rétrospective de l'aide au développement montre qu'il faut remonter à la période de l'immédiat après-guerre pour retrouver les origines et les fondements de l'aide au développement dans la forme qui a prévalu au cours des quatre premières décennies des indépendances.

Par exemple en Afrique francophone, après la participation des Territoires français d'Outremer à la deuxième guerre mondiale aux côtés de la France Libre, à la Conférence africaine française de Brazzaville (30 janvier - 8 février 1994) la France proclame son intention de mettre « non seulement son honneur, mais aussi son intérêt à avoir des colonies douées d’une prospérité parce que l’accès à la richesse de tout ce qui porte le nom de français est le gage le plus sûr du retour à la grandeur. » La Conférence de Brazzaville pose ainsi les principes de l’évolution économique de l’Outre-mer français. Elle met au premier plan le développement du potentiel de production et l’enrichissement des ces territoires en vue d’assurer à leurs habitants une vie meilleure par l’augmentation de leur pouvoir d’achat et l’élévation de leur niveau de vie.

La constitution française de 1946 ayant marqué, par la création de l’Union Française, l’évolution des pays d’Outre-mer sur le plan politique, il apparaissait, désormais, indispensable de l’accompagner d’un développement économique parallèle. C’est dans cet esprit qu’une loi du 30 avril 1946, véritable charte de l’intervention publique (Bloch-Lainé, 1956) dans l’équipement des territoires d’Outre-mer, des département d’Outre-mer et des territoires associés, décide de l’élaboration des plans décennaux de développement économique et social de la France d’Outre-mer. Ces plans seront transformés en plans quadriennaux en 1948. Toutefois, contrairement à ce qui s'est passé avant la deuxième guerre et en l’absence de capitaux privés métropolitains durement éprouvés par les deux guerres mondiales et par la grande crise de 1929, en l’absence d’une épargne locale, c’est aux capitaux publics métropolitains qu'est revenu la charge de financer les programmes d'investissement.

La politique d’équipement accéléré menée à partir de 1947 exigeait de ces territoires un effort financier qu’ils ne pouvaient soutenir. Les Territoires d'outremer étaient dans l'incapacité de financer ces programmes sur leurs ressources propres faute de moyens. Ils furent donc été obligés de recourir, à partir de 1953, à des subventions d’équilibre (AEF) ou à des avances de trésorerie (AEF, AOF, Cameroun, Togo, Madagascar). Le montant global de ces aides s’était accru rapidement : 3,3 milliards de francs métropolitains en 1953 ; 7 milliards en 1954 et 10 milliards en 1955. Par surcroît, cet effort imposait aux budgets locaux des charges nouvelles dont la croissance était plus rapide que les ressources qui pouvaient en résulter : dépenses de fonctionnement liées au développement de l’équipement, notamment l’équipement social, et annuités des prêts consentis. Au moment où la colonisation arrivai à son terme, la France assume directement de 30 à 48% des dépenses publiques totales. Par la suite après les indépendances, et pendant plusieurs décennie, l'aide française au développement a permis de prendre en charge une partie non négligeable des dépenses publiques de ces pays, dont les salaires de la fonction publiques.

Premier porteur d'aide publique au développement, la France est également le premier investisseur direct en Afrique francophone grâce à ses entreprises. L'aide française a ainsi permis de soutenir directement des régimes et à la France de préserver son influence en Afrique francophone.

2. Les fondements idéologiques de l'aide au développement

Le deuxième fondement de l’aide au développement est idéologique. En effet la période de l’après deuxième guerre mondiale est marquée par des revendications de liberté par les peuples sous domination coloniale. Des mouvements de libération nationale immergent et dans les empires coloniaux, on assiste au développement de la lutte anticoloniale et anti-impérialiste. Les instances dirigeantes de ces mouvements sont souvent composées d’hommes (Nkrumah, Nasser, Nyerere, Kenyatta, Lumumba, Senghor, Sékou Touré, Modibo Keita, Boganda, Agostihno Neto, etc,) dont la conscience politique a été forgée au contact des intellectuels progressistes des autres continents lors de séjours en Europe ou en Amérique, au cours de leur engagement dans l’action syndicale, ou pour certains, au contact de l’évangile.

La décolonisation arrive en pleine guerre froide. Le discours nationaliste et progressiste de cette élite politique fait peur à l’Occident qui décide l’endiguement (containment) destiné à empêcher le bloc communiste de mettre la main sur l’Afrique. L’aide au développement va devenir l’instrument qui va jouer ce rôle comme l’a été, après la deuxième guerre mondiale, le Programme de reconstruction européenne (The European Recovery Program) également appelé Plan Marshall. On sait que ce programme a été l’arme économique utilisée par les Américains pour combattre le communisme. De son côté le bloc communiste décide de soutenir systématiquement les régimes dits progressistes dans le cadre de la lutte contre l'expansion du capitalisme et contre l’impérialisme. C’est dans ce contexte que beaucoup de régimes ont été déstabilisés et leur dirigeants assassinés par l'un ou l'autre des deux blocs. À la place ont été placés des dirigeants dociles qui étaient immédiatement replacés à la moindre velléité d’indépendance.

Analysant la situation de l'Afrique lors de la session du Comité central du Conseil Œcuménique des Églises (COE) de Genève du 26 août au 3 septembre 1999, Sam Kobia pasteur de l'Église méthodiste du Kenya estimait que « Jusqu'à la chute du mur de Berlin, la vie politique sur le continent africain a été fortement influencée par la guerre froide entre les superpuissances ». « C'est pendant les luttes d'indépendance des peuples qui cherchaient à se libérer des régimes coloniaux que la rivalité entre ces puissances est devenue particulièrement flagrante. » Cette rivalité a empêché les pays d'instaurer des modes de gouvernement qui soient conformes à leurs traditions et à leurs véritables intérêts. L'indépendance a été conçue de manière à servir les intérêts de l'Est et de l'Ouest ». Pour Sam Kobia, à cette époque-là les superpuissances n'avaient aucun intérêt à voir s'instaurer en Afrique des gouvernements démocratiques. « Il est plus facile de contrôler des peuples sous une dictature ». Or ces dictatures se sont maintenues grâce à la coopération militaire, un des volets les plus importants de l'aide au développement. Les exemples ne manquent pas à sujet : l'Afrique francophone avec la France, l'Égypte avec les États-Unis d'Amérique, la Guinée de Sékou Touré, l'Angola et l'Éthiopie avec le bloc communiste, le Zaïre de Mobutu Sese Seko avec les pays occidentaux.  Ce qui explique la longévité au pouvoir de certains chefs d'État et la transformation des présidences à vie en "républiques monarchiques" où les enfants sont préparés à succéder à leur père.

3. Les fondements religieux et humanistes

Pour les chrétiens, l'aide au développement est directement fondée théologiquement. En effet, de nombreux textes de l’Ancien Testament ne cessent de proclamer, Dieu fait « droit aux malheureux et justice aux pauvres. Dans le Nouveau Testament notamment les Évangiles, Jésus donne à la pauvreté une place centrale dans son enseignement et stigmatise l’insensibilité des riches. Durant son ministère, il n'a cessé de fréquenter déshérités, malades et miséreux. La question de la pauvreté occupe une place centrale dans l'enseignement de Christ. Elle est un apprentissage pratique du manque et une proximité retrouvée avec les hommes, spécialement avec les plus démunis.

Tout au long du 1er et deuxième millénaires, les Pères fondateurs de l'Église, les théologiens et autres " insurgés de Dieu " n'ont cessé de rappeler l'ardente exigence des Écritures, celle d'inscrire au cœur de la pratique de la foi l’exercice de la charité.

Quelques textes fondamentaux

Livres et Textes

Livres

Lévitique

25, 35-43

Amos

8, 4-8

Mathieu

25, 34-40

Paul

Première épitre aux Corinthiens 11, 17-22 et 33-34

Jean Chrysostome

Homélie sur la conversion

Corpus de la production doctrinale des Papes (Religion catholique)

Léon XIII

Rerum novarum

Pie XII

Fidei donum

Quadragesimo anno

Paul VI,

Populorum progressio

Jean Paul II

Sollicitudo

Centesimus annus

Benoît XVI

Deus caritas est

 

La tradition judéo-chrétienne donnait à l’assistance aux pauvres un statut sanctifiant : l’exigence de pauvreté, condition de salut, s’accompagne d’une exigence d’aide au prochain victime de la pauvreté, mettent en cause ces différentes approches de la vie sociale que sont le don, mais aussi l’ordre et l’utilité. Cependant en Europe, aux XVIIe et XVIIe siècles charité et répression, deux situations a priori antinomiques, n’ont dans les faits, jamais cessé de cohabiter, selon des dosages variables. Et la question est tout particulièrement à l’ordre du jour à l’aube des temps dits « modernes ». C’est à partir de la crise du bas Moyen Âge et du développement du paupérisme qu’elle induit que s’est manifestée une tension entre la vision idéale d’une pauvreté à la valeur spirituelle éminente et la perception d’une réalité sociale inquiétante, qui engendre crainte et mépris. La pauvreté prend les couleurs d’une malédiction, aux antipodes du thème du pauvre, image du Christ, tandis que se met en place une législation répressive destinée à réprimer le vagabondage et l’oisiveté.

Progressivement, la notion de pauvreté quitte la sphère théologique pour rejoindre le terrain politique. Face au spectacle d’une pauvreté omniprésente, la société se trouve confrontée aux contraintes divergentes du maintien de l’ordre et du devoir de charité. Le pauvre apparaît comme un voleur, un pillard, un vecteur d’épidémie ; une image qui prend corps en fonction du développement urbain et des mutations économiques qui provoquent l’afflux en ville d’une main-d’œuvre non qualifiée impossible à assimiler rapidement. Autorités laïques et ecclésiastiques vont alors s’associer pour tenter de neutraliser ce danger social, en créant de nouvelles institutions charitables et répressives confiées aux notables urbains.

Par la suite, réforme religieuse et mouvement humaniste se conjuguent pour poser l’enjeu en termes nouveaux : la pauvreté, désormais dégrade l’homme et n’est plus supportable. Il faut donc, en toute charité, la combattre.

Plus tard, bien plus tard, la charité est pensée comme une présence active face aux souffrances des autres. La charité chrétienne cède la place à un esprit philanthropique : c’est désormais dans le bonheur et non dans la souffrance que l’homme peut s’épanouir. La charité traditionnelle, inséparable de la perspective du salut chrétien, se trouve disqualifiée, et la sollicitude réside dans la suppression du malheur humain et non dans son accompagnement charitable.

À suivre

 

 

 

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