Samedi 2 novembre 2013

Noël KODIA


NOTES DE LECTURE


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« Les dieux de Zéno » ou le degré zéro de la dictature en Afrique

Miroir du sociopolitique africain, « Les dieux de Zéno » (1) de Benjamin Mankédi nous fait revivre l’intolérance du politique vis-à-vis des chevaliers de la plume. Un récit où se mêlent drame, amour, pardon divin et caricature des politiques africains confrontés au courage des larges masses populaires.

« Les dieux de Zéno » est l’histoire du journaliste Roberto qui, après avoir assisté à la présentation d’un livre subversif d’un certain Marco Tama et publié un article incendiaire qui a provoqué l’agitation dans le pays, se trouve confronté au pouvoir. Au cours d’un dîner offert par le richissime Juanito, Roberto fait la connaissance de Barbara, une femme des Renseignements à Zéno. Naïf, Roberto tombe amoureux de la jeune femme, ne sachant pas qu’elle travaille pour le pouvoir. En sa compagnie dans la ville, Roberto est interpellé par des hommes en voiture qui le kidnappent. Emmené à la Prison Noire, le journaliste comprend qu’il se retrouve dans ces lieux pour avoir écrit « des choses enquiquinantes pour le pouvoir ». Aussi, il devient le héros du peuple pour avoir fait trembler les dieux de Zéno. Après u

 n séjour d’une année en prison qui a affecté sa mère, Roberto est libéré mais se promet de ne jamais renoncer à la lutte déjà engagée. Mais il ne peut goûter les fruits de sa lutte. Tout se précipite pour lui quand il retrouve Barbara. Celle-ci se donne la mort avec l’arme de son amant Juanito pour avoir trahi Roberto en étant au service de la police secrète du pouvoir. Quand Roberto retrouve sa mère Monica qui a tant souffert de son incarcération, leur joie des retrouvailles est de courte durée. Des sbires envoyés par le pouvoir assassinent Roberto qui trouve la mort dans les bras de sa mère. Et quand celle-ci meurt seule dans sa maison, emportée par une crise d’hypertension, les habitants de son quartier ont vaincu la peur et se sont armés. Commence alors une rébellion qui va se transformer en insurrection dirigée par une certaine Mariana, amie de la défunte Monica. Et c’est dans ces troubles que Juanito est tué paradoxalement au combat par ses propres guerriers. S’ouvre alors une nouvelle page pour le peuple de Zéno qui immortalise Monica dont la biographie sera écrite par son amie Mariana. « Les dieux de Zéno », un roman qui révèle, à travers ses hommes et femmes, quelques tristes réalités des sociétés contemporaines africaines.

Journalisme et politique en Afrique

Pour avoir voulu bien faire son travail, Roberto se confronte au cynisme de la classe politique qui considère souvent les journalistes comme des agitateurs. A Zéno, notre journaliste ne pourra pas échapper à cette monstrueuse réalité. Au cours d’un conseil de ministres, « les dieux de Zéno proclament l’autodafé des articles de Roberto. L’imprimerie est mise sans séquestre et placée sous la surveillance de la Garde Prétorienne (…). Roberto pour avoir rédigé des phrases contraires à l’image de Zéno répondra de sa témérité ». (p.19). A partir de ce moment, commence le calvaire du héros, ainsi que celui de sa mère Monica qui ne pourra supporter l’offense faite à son fils. Aussi, pour le punir parce qu’il a méprisé les dieux de Zéno, Roberto est jeté en prison. Douze mois de détention ne l’empêchent pas de divorcer d’avec la plume. Après un trimestre en cellule, l’encre et le papier ne cessent de hanter sa conscience : « Roberto se trouve dans la solitude forcée durant quatre mois déjà. Impossible d’écrire. Pas de papier et de stylo (…). L’envie d’écrire se saisit de lui » (p.36). Mais la grandeur du journaliste se révèle d’une façon incisive à travers le narrateur qui personnifie la prison : « Si la prison était un être humain, elle serait aussi méprisable et répugnante que ceux qui ont tué la liberté. Je n’ai ni le papier, ni le stylo de l’homme. Cependant j’ai eu en moi le papier et la plume donnés par la nature » (p.36).   On découvre dans ce roman la liberté de presse qui apparaît comme une arme terrible que craignent les dictateurs comme on le remarque chez les dieux de Zéno. Sorti de la prison, Roberto veut retrouver son « amour » Barbara qui était à l’origine de ses malheurs, ainsi que sa mère qui n’avait cessé de penser à lui pendant son incarcération.

Les femmes dans le destin de Roberto

Il y a deux principales figures féminines qui occupent la place dans l’univers diégétique qui définit l’étrange destin de Roberto dans l’exercice de son métier de journaliste. Quand les portes de la prison lui sont ouvertes, la première femme qu’il veut rencontrer est Barbara, celle-là même qui l’avait « laissé tomber » dans les mains des sbires du pouvoir. Et dans leurs retrouvailles, se clarifie la trahison de cette dernière qui était au service la police sécrète du pouvoir en connivence avec son amant Juanito. Incapable de s’assumer devant l’homme qu’elle a aimé et qu’elle a trahi, elle se donne la mort avec l’arme de son amant Juanito dans la chambre de celui-ci. Barbara morte, Roberto pense retrouver sa mère. Mais au moment où mère et fils sont dans la joie et le bonheur de leurs retrouvailles, des hommes armés par le pouvoir tirent sur Roberto qui meurt tragiquement dans les bras de sa maman. Femme de Dieu, Monica « sollicite le pardon divin en faveur de l’homme », celui-là même qui a fait du mal à son fils. Secoué par la mort de sn fils et malmenée par un groupe de malfrats qui voudraient la dévaliser car femme commerçante, Monica ne peut supporter cette nouvelle humiliation. Elle est emportée par une crise d’hypertension. Après sa mort, consécutive à celle de son fils, finie, contre toute attente, la peur dans le pays et éclate une rébellion dans le quartier où les gens se sont armés. Et cette rébellion de se transformer en insurrection que va diriger Mariana, une autre femme amie de Monica, dont la témérité éclate au grand jour. Dans ce tumulte, Juanito est tué par ses guerriers au combat.

Les dieux de Zéno, des archétypes de certains dirigeants africains ?

Pendant que le livre de l’écrivain Marco Tama qui se définit formellement comme une mise en abyme met en relief l’amour entre les humains, à Zéno les hommes portent paradoxalement en eux le triomphe de la haine : « Sont accusés de conspiration et exécutés au petit matin ceux qui se réunissent nuitamment pour chanter l’hymne de la vie » (p.11). Comme dans certains pays du continent, les dieux de Zéno ne vont pas accepter la critique, en particulier, celle qui vient de la presse. Pour avoir critiqué l’injustice sociale, « Ils [les dieux de Zéno] vivent leur temps. Mais un jour le temps leur imposera sa loi » (p.13), Roberto sera arrêté manu militari et jeté en prison : « Brutalement Roberto est ceinturé, immobilisé et menotté (…) La violence prend fin avec le claquement des portières de la voiture » (pp.23-24). Ce livre, un roman qui signifie l’actualité politique africaine qui, depuis le soleil des indépendances, continue à révéler une « Afrique mal partie », comme l’avait prédit René Dumont.

Pour conclure

Encore un roman qui révèle l’afro-pessimisme qui devrait interpeler les politiques africains qui se comportent comme les dieux de Zéno dans des États qui ont été désignés comme des républiques juste après les indépendances. Le récit de Benjamin Mankédi, un livre qui pourrait s’engager dans la lutte contre la dictature sur le continent. Et comme le pense l’universitaire Aimé Dieudonné Mianzenza sur sa quatrième de couverture, « Les dieux de Zéno » est l’histoire d’un pays dirigé par des hommes qui croient être des dieux sans foi ni loi ».

Noël KODIA

(1) Benjamin Mankédi, « Les dieux de Zéno », éd. Cesbc, Évry, 2013, 89 pages, 11€

 

 

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