SIMON KIMBANGU Sa vie et son ministère Le 24 septembre 1889 nait à Nkamba, dans le Territoire des Cataractes, District du Bas-Congo, Province de Léopoldville au Congo Belge, un enfant à qui on donne le nom de Kimbangu. Pour certains, le mot « kimbangu » signifie habileté ou savoir-faire. Pour d’autres, il désigne « celui qui révèle ce qui est caché ». Ce nom fut probablement attribué au bébé parce qu’à sa naissance on dut crier à forte voix et à maintes reprises « kimbangu » dans tout le village de Nkamba, comme le voulait la tradition kongo, pour « appeler à la vie » un enfant rencontrant des problèmes de respiration à sa naissance. Miraculé dès sa venue au monde, l’enfant était destiné à accomplir de grandes œuvres. À la mort de sa mère Luezi Wamfuemina et de son père Kuyela, le jeune Kimbangu est pris en charge par Kinzembo, la soeur de sa mère, conformément à la coutume kongo. Kinzembo et son jeune fils adoptif sont bénis par un missionnaire baptiste, mal reçu par les habitants de Nkamba, à qui la jeune femme aurait donné de l’eau et de la nourriture. L’homme prie avec eux et prononce ces paroles de bénédiction : « Que Dieu te bénisse, toi et tes enfants. Ta foi t’a aidé. » Il semble que c’est à la suite de cette bénédiction que l’enfant recevra plus tard le don de songes, des visions et de prophéties. Encore adolescent, Kimbangu est un chrétien zélé. Eduqué dans une mission baptiste anglaise, consciencieux et très intelligent, il acquiert une bonne connaissance des Écritures Saintes. En 1913, Kimbangu épouse Muilu Kiawanga Nzitani1/. Kimbangu et Muilu ont très vite un premier fils, Kisolekele. Par la suite, le couple se fait baptiser à la Baptist Missionary Society (BMS) de Ngombe-Lutete, village situé à 12 km de Nkamba. Kimbangu est prénommé Simon et son épouse Marie. Le 4 juillet 1915, juste après leur baptême, le couple se marie religieusement. La cérémonie du baptême se déroule à Ngombe-Lutete et celui du mariage au village de Masangi. Elle est célébrée par le diacre Kusandanga de la Baptist Missonary Society de Ngombe-Lutete. Kibangu devient catéchiste et travaille à la Baptist Missionary Society (BMS). En 1918, pendant l'épidémie de grippe, Simon Kimbangu « reçoit une vision ». Une voix inconnue lui « ordonne de faire paître son troupeau, d’agir en pasteur »2/. Simon Kimbangu estime qu’il n’est pas suffisamment instruit pour cette responsabilité. Il pense que d'autres pasteurs et diacres accompliraient mieux cette mission. Mais la voix continue à l’appeler toutes les nuits. Simon Kimbangu fuit à Léopoldville pour échapper à cette invite et y travaille comme ouvrier. Mais la voix se fait entêtante. Comme la réussite tarde à venir, Kimbangu revient à Nkamba pour se consacrer à des travaux agricoles. Le 6 avril 1921, il accomplit son premier miracle à Ngombe-Kinsuka en guérissant une femme appelée Nkiatondo. Le deuxième miracle, la résurrection d’un jumeau, n’est pas mené à son terme : à cause de l’incrédulité et des superstitions des parents l’enfant meurt peu après. On prend Kimbangu pour un sorcier, un guérisseur, un magicien, un fou… Lui continue à assurer qu’il tient son pouvoir de Jésus Christ. « Les gens commençaient à craindre Simon Kimbangu et évitaient de se trouver sur son chemin. Ils le tenaient pour un magicien. Mais Simon leur répétait: ‘‘ C’est Christ qui a accompli ces miracles par moi; en moi-même, je n’en ai pas le pouvoir ’’. Il affirmait par là ne faire aucun usage d’aucun procédé magique. Pour lui, il s’agissait exclusivement de Christ, dont il se savait l’instrument. »3/ Voici ce qu’écrit Georges Balandier : « Dès lors, il se révèle thaumaturge : on lui accorde le pouvoir de guérir les malades et de ressusciter les morts ; son action miraculeuse se modèle sur celle du Christ. Il se déclare prophète, envoyé de Dieu, fils de Dieu : et on le nomme Gounza [Ngunza] (soit, en langue ki-kongo, « tout cela à la fois ») d'où le nom de Gounzisme [Ngounzisme] donné quelquefois au mouvement - le terme apparaît ainsi comme une équivalence ki-kongo du mot messie. »4/ Simon Kimbangu guérit le paralytique Matubuka, l’aveugle Ngoma, l’infirme Thomas de Lombo et ressuscite Alphonse Kiabelwa… Les miracles se multipliant, l’incrédulité tombe peu à peu. Des foules de pèlerins, venant de tous les horizons, désertent les églises catholiques et les temples protestants pour se rendre à Nkamba afin de trouver la guérison « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit qui est descendu sur Simon Kimbangu ». Nkamba devient Nkamba-Jérusalem. Simon Kimbangu enseigne au peuple de se débarrasser des fétiches (mi-kisi), de ne faire confiance qu’en Dieu, mais aussi d’être pur moralement, d’obéir aux autorités supérieures, d’aimer ses ennemis, de n’avoir qu’une seule femme… Martin Marie-Louise cite une prière, tirée d’un document inédit kimbanguiste datant de 1957, que le prophète prononçait quotidiennement, qui prouve qu’il n’était point xénophobe : « Je te remercie, Dieu Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre. Le ciel est ton trône et la terre ton marchepied. Ta volonté soit faite au ciel et sur la terre. Bénis tous les peuples de la terre, grands et petits, hommes et femmes, blancs et noirs. Que la bénédiction céleste descende sue le monde entier, et que tous nous puissions accéder au ciel. Nous t’invoquons dans l’attente que tu nous acceptes, au nom de jésus christ notre Sauveur ; amen. »5/ Le 11 mai 1921, Léon Morel, administrateur territorial de Thysville, se rend à Nkamba. Il convoque Simon Kimbangu pour l’interroger sur ses agissements. Simon Kimbangu lui répond qu’il doit d’abord prier. Au moment de l’interrogatoire, Kimbangu et ses disciples sont saisis par le « mpemve » et parlent en « langues ». En transes, Simon Kimbangu crie : « Je n’ai pas peur de dix mille hommes ! Dieu protège-moi de mes ennemis ! Aide-moi, oh ! Aide-moi ! » L’interrogatoire est impossible. Morel dénonce dans un rapport adressé à ses supérieurs les actes de l’illuminé Kimbangu qui, parmi d’autres crimes, défend à ses adeptes de se faire soigner. Il écrit que Simon Kimbangu veut créer « Une religion qui corresponde à la mentalité des indigènes … Nos religions d’Europe toutes pétries d’abstraction ne correspondent pas à la mentalité du Noir qui exige le fait concret et la protection ».6/ Il ajoute : « C’est pourquoi, il est nécessaire de lutter contre Kimbangu, sa tendance est panafricaine. Les indigènes diront : nous avons trouvé le Dieu des Noirs et la religion qui convient à l’Africain. » Faudra-t-il que le drame de Donna se répète ? » Le 2 juin 1921, sous la pression des missionnaires catholiques et protestants, Morel ordonne l’arrestation de Simon Kimbangu. Le 6 juin 1926, lors de l’intervention, deux soldats et une femme sont blessés et un jeune enfant tué. Simon Kimbangu et son fils Charles Kisolokele arrivent à s’enfuir à Mbanza-Nsanda. Sa femme Marie Mwilu et ses deux enfants Salomon et Joseph sont mis en résidence surveillée à Ngombe-Kinsuka. Le 12 août 1921, le « régime militaire mitigé » est décrété dans les territoires de Mbanza Ngungu et de Luozi. De nombreux « kimbanguistes » sont arrêtés, mais le mouvement continue de s’étendre. «… le message religieux que véhicule le Kimbanguisme est tout entier consacré à la quête d’un ordre nouveau. Aussi dans les cantiques chantés dans la nouvelle Église créée par Simon Kimbangou il est souvent question de l’indépendance et de la libération du peuple, de la reconquête du pays occupé par des étrangers : « Le pays, oui le pays changera en vérité Les apôtres de cette terre se lèveront Au jour assigné par le sauveur. Les Blancs ont le signe de l’autorité Mais ils n’ont plus d’autorité. Le pouvoir nous appartient désormais Il ne leur appartient plus ».7/ Pendant trois mois, Simon continue dans la clandestinité son ministère d’évangélisation et la formation de ses douze apôtres. Mais en septembre, une voix lui ordonne de se rendre à Nkamba pour y être arrêté. Le 12 septembre 1921, Kimbangu se rend aux autorités coloniales belges pour accomplir son destin. Enchainé, il est conduit de Nkamba à Thysville en passant par Nsundu. De nombreuses manifestations de sympathie sont organisées sur le parcours. Le 3 octobre 1921, Simon Kimbangu est condamné par un tribunal militaire à 120 coups de fouet et à la peine capitale pour : rébellion contre l’ordre établi, atteinte à la sûreté de l’État et outrage à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. « Son procès se déroula devant le Conseil de guerre de Thysville, comprenant un juge unique, le commandant Rossi. Un acte d’accusation faussé, une procédure arbitraire aboutirent à la condamnation à mort du prophète. »8/ La peine de mort sera finalement commuée en détention perpétuelle par le roi Albert de Belgique. Après qu’il ait reçu les 120 coups de fouet à Léopoldville, il est envoyé à Élisabethville dans la province du Katanga, à 2000 km de sa terre natale. Il sera incarcéré à la prison de Kasombo. Il y finira sa vie après 30 années passées dans une minuscule cellule de 1,20m sur 0,80m, sans aération, et comme lit il disposait d’un bloc de béton. Malgré la demande de libération de nombreux administrateurs coloniaux, il est maintenu en prison où il meurt le 12 octobre 1951. À sa mort, le village de Nkamba est complètement détruit. Un bâtiment de surveillance militaire est construit sur les lieux. Sa femme et ses enfants Joseph Diangenda et Salomon Kiangani Dialungana s'établisent à Ngombe-Kinsuka. Charles Kisolokele est consigné à l'internat de la colonie scolaire de Boma, chef-lieu du district du Bas-Congo. Il y sera rejoint plus tard par Diangenda. En 1922, l’œuvre de Simon Kimbangu est interdite par l'administration coloniale belge. La source miraculeuse de Nkamba ainsi que le village sont sous contrôle militaire. Commence alors la déportation massive des « kimbanguistes (37 000 familles). La conséquence est que le mouvement gagne le pays tout entier. « L’emprisonnement et la déportation de Simon Kimbangou contribuent bien plus à l’accroissement de sa puissance qu’à la destruction du mouvement qu’il a suscité… le leader emprisonné devient un symbole propre à stimuler l’opposition ; il se trouve hors de tout contact et les processus d’idéalisation peuvent fonctionner avec une plus grande liberté. Son exemple même sert à encourager tous les dévouements ».9/ ___________________________ Notes 1La jeune fille a été mariée pour la première fois par Ndompetelo Mpata Mia Mbongo. 3 KOUVOUAMA Abel., thèse de 3ème cycle, université Paris V, 1979, p. 64. 3 MARTIN Marie Louise, Simon Kimbangu : Un prophète et son Église, Éditions du Soc, Lausanne, 1981, p. 63. 4 BALANDIER Georges, Messianisme et Nationalisme en Afrique Noire, Cahiers internationaux de sociologie, vol.14, Presses universitaires de France, Paris, 1953. 5 MARTIN Marie Louise, op.cit, p. 66. 6Rapport de MOREL Léon du 17 Mai 1921, Archives Kimbanguistes, Nkamba, (Zaïre). 7 LATOKI Paul-Emile, La religion comme quête de l’ordre dans la société africaine traditionnelle, Cahiers de Psychologie politique, 16 janvier 2010, http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique 8CRISP, (Centre de Recherches et d’Information Socio-Politique), Bruxelles, n° 47, janvier 1960, Le Kimbanguisme, p. 6. 9 BALANDIER George., sociologie sociale en Afrique centrale ,3ème édition, PUF, Paris, 1971 p. 430. |