Au commencement était… Wendo

 

Daniel MATOKOT

Professeur de Lettres,

Auteur, Compositeur, Ecrivain,

Chercheur au Cesbc

 

Quelque part à Mushie, dans la province de Bandundu, un jour de l’année 1925, naît Antoine Kolosoy. Son père s’appelle Lutuli Jules, de la tribu Ekonda. Sa mère, Bolumbo Albertine est d’origine Kundo. C’est auprès d’elle que le jeune Antoine passe une partie de son enfance car Jules le laisse orphelin assez tôt.

Albertine lui offre quelques années plus tard son bien le plus précieux, un « mukwassa », instrument de musique qu’elle utilisait pour s’accompagner au chant et calmer les tensions et les angoisses des personnes de son entourage.

Ce legs, accompagné d’une troublante prédiction « Prends-le, il fera le bonheur de beaucoup de gens », marque le début de la légende d’Antoine Kolosoy qui, dès le début de sa carrière de chanteur, prend le prénom de " Windsor " (en référence au Duc de Windsor) qui se déclinera rapidement en " Wendo Sor " jusqu'à ce que le " Sor " tombe aux oubliettes. Papa Wendo est bel et bien né.

Pourtant, Antoine s’intéresse avant cela à la boxe. Peut-être que le succès dans cet art de combat lui aurait-il fait oublier tôt ou tard l’art de la musique ?

Le destin en décide autrement. Il est embauché à l’OTRACO (Office des transports fluviaux congolais), actuel Office national de transports (ONATRA). Les eaux majestueuses de l’imposant  fleuve Congo deviendront le Cœur même de sa débordante inspiration.

Mais la source de l’inspiration d’Antoine, de sa rumba chaloupée, de ses notes de guitare langoureuses, de sa voix patinée par les ans est peut-être à rechercher aussi en amont du grand Fleuve. Dans les années 20 à Léopoldville, des « coastmen », africains de l'Afrique de l’Ouest résidant dans la capitale du Congo Belge introduisent dans l’environnement musical congolais des instruments et des rythmes venus d'ailleurs. L'harmonica, l'accordéon et la guitare se mêlent aux tam-tams sur des rythmes High-Life. C’est une révolution culturelle pour les citadins de Léopoldville qui, dans les dancings qui naissent dans tous les quartiers, inventent dans la foulée de nouveaux pas de danse adaptés à ces nouveaux rythmes, pas de danse vite repris dans le reste de l'Afrique. Cela au grand dam des missionnaires qui voient d’un mauvais œil ces rituels « sataniques ». Ils tentent de détourner cette vague qui touche toute la jeunesse en lançant le scoutisme, des chorales, des chants de prières et actions de grâce… qui ne feront que contribuer à améliorer les connaissances musicales d’une nouvelle génération de musiciens. Dans les années 40, tout est consommé : la rumba (terme né de nkumba, nombril en kikongo) a conquis l'Afrique Centrale.

Pendant toute cette période de fermentation musicale, alors que Paul Kamba fonde en 1942 Victoria Brazza à Brazzaville, capitale de l’AEF (Afrique Équatoriale Française), le jeune Antoine mène une vie trépidante sur le fleuve et ses affluents sur le pont du “Luxembourg” un bateau de l’Otraco.

Tout au long de ce périple, la guitare acoustique de l’artiste-batelier résonne le soir, au grand ravissement des passagers et des riverains des ports d’escale. Dans la brume naissent sur trois ou quatre accords accompagnant une voix romantique les silhouettes de Marie Louise et de Bernadette. De l’autoglorification - Biso ba Wendo - à la louange du pays d’origine - Ngai mwana Lac -, l’Odyssée devient réalité sur le port de Léopoldville ou dame « Pénélope le Succès » l’attend.

En 1943, l’orchestre Victoria Kin est crée, avec la participation de Maître Taureau Bateko, Bongeli, Bape et Tango et d’un  groupe de belles jeunes filles dénommé “ La reine politesse ”, dirigé par la grande danseuse Germaine Ngongolo.

Radio Congolia amplifie sa voix en 1946 et le fait connaître du grand public. « Marie-Louise », considéré comme le premier tube de la musique congolaise, est enregistré par la firme Jeronimidis (disques Ngoma) en 1948 sur fond de guitare de son ami Henri Bowane. Le succès est immédiat et phénoménal, les plus grands tubes musicaux du moment sont éclipsés: « Ata ndele», « Maria Tchebo », « Tout le monde samedi soir » et « Pyramide » (Adou Elenga); « Njila ya Ndolo » (Antoine Mundanda) ; « Congo ya biso basi bayebi kolata » (Léon Bukasa)…

La chanson « Marie Louise » a la vertu de ressusciter les morts lorsqu’elle est jouée aux environs de minuit ! Le fantôme de « Marie Louise » hante les bars de Kinshasa la nuit ! L’Eglise catholique, qui veut exorciser le démon, renforce ce succès. Un curé, inspiré par Dieu, dans la plus belle tradition de l’époque de l’Inquisition, déclare satanique la chanson “Marie-Louise” et invite les ouailles à la censurer. Les autorités belges, agacées par les rumeurs et sous la pression de l’Eglise, décident d’emprisonner le chanteur. Ce dernier est contraint de se réfugier à Stanleyville (Kisangani) dans la Province Orientale du Congo Belge. Cette volonté de le faire taire a un effet inverse et inattendu sur les fidèles : la légende de Wendo Sor vient de naître !  Le disque “Mabele ya mama”, dédié à sa mère décédée peu de temps avant, confirme son talent de chanteur. Il devient pour le grand public, le Duc de Windsor, et par déformation “ Wendo Sor ”.

En 1955, Bukasa, D’Oliveira et Wendo montent l’orchestre “Trio Bow” et en concert ou en studio synthétisent les tendances de la musique de l’époque et lui imprime un cachet multiforme et exceptionnel. Ils lancent sur le marché les titres tels que  “Sango ya bana Ngoma”, “Victoria apiki dalapo”, “Bibi wangu Madeleine”, “Yoka biso ban’Angola”, “Landa bango sur des dizaines de “78 tours” que le phonographe, encore dans son enfance, se chargera de populariser dans tout Léo.

Tino Baroza, Soudaïn, Manoka, Ténor Mariola, Dasaïlo, Verre Cassé, Yayo, Ngolombou, Pewo, Tinapa, Honoré Liengo, Gobi, seront eux aussi les facteurs de cette rumba originelle. Mais Wendo reste sans conteste le chanteur le plus adulé de son époque, à laquelle il a donné son nom Tango ya ba Wendo (l’ère Wendo).

La suite n’est qu’une succession d’éclats et d’éclipses.

Pour ne pas tomber dans le culte de la personnalité pendant la dictature du régime Mobutu, Wendo cesse de faire de la musique.

Au début des années 60 la relève a déjà depuis longtemps pointée son nez dans les personnes de Kabasele, Rochereau, Franco….

Dans les années 70, Tabu Ley se proclame même son héritier (« Mokitani ya Wendo). Wendo enregistre en 1991 un album que personne ne remarque pour un éditeur belge (Sovarex). Sur fond de carrière en dents de scie, c’est un miséreux que le président Laurent Désiré Kabila, qui vient de chasser du pouvoir le Maréchal Mobutu en 1997,  tirera de l’ornière. Cette même année, lors du quatrième Marché des arts et du spectacle africain (MASA), il met en boîte un nouvel album. Le Massa 99 lui remet les pieds sur l’étrier de la scène. Il reçoit même un « Ngwomo Africa ». En 2002, le chanteur enregistre à Kinshasa l'album Amba.

Une nouvelle génération de mélomanes plébiscite le doyen de la musique congolaise. Brazzaville, Paris, Berlin, Brazzaville et Bruxelles replongent sous le charme des vocalises du Grand Maître.

L’artiste musicien congolais Antoine Wendo Kolosoy, mieux connu sous l’appellation de Papa Wendo, est mort le lundi 28 juillet 2008 à la Clinique Ngaliema de Kinshasa à l’age de 83 ans à la suite d’une crise liée à un dysfonctionnement organique. Il a été inhumé le dimanche 3 août au cimetière de la Gombe à l’issue d’une grandiose cérémonie de deuil à laquelle plusieurs milliers d’officiels, de musiciens et de mélomanes ont pris part. Il a été décoré à titre posthume de la médaille d’or du mérite des arts, sciences et lettres, selon une ordonnance du président Joseph Kabila, lue par le chancelier des Ordres nationaux, le général Mabiala.

Il laisse derrière lui soixante enfants, chiffre toutefois contesté au cours de la même cérémonie, par le témoignage de Me Taureau Ngombe, un des proches du musicien. Mais peut-on réellement compter ces millions de mélomanes, tous  fils du Père de la musique congolaise ?

Ces millions de personnes qui savent qu’au commencement était…Wendo ! Ils ont déclaré :

"Wendo était un résistant, un patriote et un unificateur des générations musicales congolaises. »  Pr Philémon Mukendi, ministre honoraire de la Culture du gouvernement Laurent-Désiré Kabila.

 ‘‘Wendo fut un grand monument de la musique moderne des décennies durant, il a été au service de la Nation en produisant des oeuvres musicales d’une grande qualité artistique.’’ Esdras Kambale, Ministre congolais de la Culture.

 ‘‘Il était la référence de la musique congolaise depuis les années 50.’’ André Kimbuta, Gouverneur de la ville de Kinshasa.

 ‘‘Il mettait de l’art dans ses oeuvres que nous récitions comme des versets bibliques.’’  Sophie Noma, éducatrice.

"Je crois qu'il n'y a pas un Congolais dans le monde entier qui ne le connaisse pas, et il n'y a pas un Congolais quand on chante sa chanson Marie Louise qui ne dise pas tout de suite Papa Wendo."  Jacques Sarasin, Réalisateur.

 ‘‘Papa Wendo a légué un héritage exceptionnel et nous continuerons à puiser dans ses oeuvres pour le rayonnement de la musique congolaise.’’ Papa Wemba, chanteur. 

 

 
 

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