CESBC - Centre d'études stratégiques du bassin du Congo


 

 

  

Note de lecture

Le Ministre, d’Olivier Collard, éditions du Cursinu, Bastia, 2009 

Les éditions du Cursinu : www.polar-collard.fr


Images de Corse

@ 2012 Daniel MATOKOT


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Le thème de l’immigration dans le polar corse

par Daniel MATOKOT

 

Il y a déjà une tête de maure sur le drapeau corse….  Mais un Ministre noir sur l’Ile de Beauté ?... Il fallait une bonne dose d’imagination pour l’inventer…  Mais ce n’est pas cela qui fait défaut à l’écrivain de polar corse, Olivier Collard.  

Dans son roman le Ministre, publié aux Éditions du Cursinu, l’écrivain nous fait découvrir, non pas un ministre noir, mais le Ministre,  son excellence Victorin Katounganwé. Ce dernier avait débarqué chez nous, à la Faculté de Corte, « l’université française qui accueillait le plus grand nombre d’étudiants chinois »,  grâce  à un généreux dispositif qui faisait que « notre grande nation consentait à ouvrir les portes de ses universités à des potaches pas franchement couleur locale».

Nous n’aurions jamais dû entendre parler de lui, car il serait rentré dans son pays, après ses études de Droit, pour y embrasser une carrière de magistrat. Mais par manque de bol, pour lui, et surtout pour nous, le sort en avait décidé autrement.

Un bouleversement politique, comme il en arrive tous les jours en Afrique, « avec l’éviction du Garde de Sceaux qui, par le biais de son cinquième mariage, était vaguement apparenté au jeune Katounganwé », fait s’effondrer tout l’édifice de son plan de carrière. Jugé persona non grata par la junte au pouvoir, le manghjore sollicite le statut de réfugié politique pour « jouer les prolongations » et manger finalement  le « pain des français ».

La Préfecture fidèle à ses habitudes, lui avait refusé systématiquement ses papiers, à lui, Victorin Katounganwé « qui était issu d’une bonne famille, très  respectable, aimant la France et tout et tout », car  « il n’était pas clairement établi que sa vie serait en danger en cas de retour dans son pays d’origine » et que  surtout, « la France n’avait plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde ».

Victorin avait osé donner des cours de droit au brave fonctionnaire de la Préfecture, « lui avait littéralement cloué le bec », et avait été éjecté manu militari définitivement des murs du bâtiment avec en prime, une côte cassée, de multiples contusions et « des propos ironiques, agrémentés de ’’toi y’en a ‘’, et même de bruitages tout droit sortis d’un stade de foot. Des cris de singes. »

Ces raisons permettent de comprendre les dérapages que nous avons été amenés à subir plus tard de la part du Ministre, l’homme à la mallette en skaï, le redresseur de torts.

  • Figurez-vous que l’écornifleur commençait à cracher sur la main qui l’avait nourri. Sans vergogne ! Et le plus perfidement du monde… ».

On peut aussi comprendre pourquoi des personnes hauts placés étaient disposés à « affréter un charter rien que pour lui », et pour « obtenir le prix de gros »,  « histoire de rentrer dans les quotas », « compléter la cargaison en raflant quelques uns de ses congénères ».

Tache ardue pour la flicaille que de mettre la main sur l’ennemi public numéro un qui bénéficie de protections insoupçonnées dans la population.

Mais comme le dit l’adage, « il ya neuf jours pour le voleur, et le dixième pour le gendarme ».

Le gendarme, c’est le pittoresque brigadier [corse] Gabriel Mordiconi, perdu entre les exigences fantasques et inextricables  de sa hiérarchie, qui veut faire du chiffre, notamment en ce qui concerne les Maliens (pourquoi seulement les Maliens ?) :

  • Brigadier Mordiconi, permettez-moi de vous rappeler que notre unité a toujours réalisé les objectifs qui lui sont confiés ! Alors vous mettez un coup de collier, mais vous me les retrouverez, ces ressortissants. 

 Et son bon sens corse qui l’amène à conduire son enquête [corse] à sa manière, avec l’aide de l’ex-divisionnaire Firmin Lagarce et du chien Mascaro, quitte à subir les foudres de son supérieur hiérarchique, un continental fraîchement débarqué.

Surtout qu’à deux semaines de la visite de « trois pommes », du chef de l’Etat en Corse, il faut faire vite. Le Divisionnaire Derrien  ne décolère pas.

  • Cette fois Messieurs, inutile de vous faire un dessin. Il est impératif de faire taire ce fâcheux. Raison d’Etat ! 

  • L’enquête du Brigadier est menée de main de maître. Le Ministre est arrêté dans les catacombes de Bastian. Mais :

  • Injonction ministérielle. Pendant que vous étiez en goguette dans les sous-sols du vieux Bastia, un conseiller de l’Elysée a appelé.

  • Ah bon ? Pour vous dire quoi ?

  • Tout simplement pour me demander de laisser ce Victorin Katounganwé libre comme l’air. 

  • Stoumagué par l’injonction présidentielle, le Brigadier est bien obligé de  relâcher le Ministre.

  • En agissant ainsi, le Président venait de placer l’action sur son terrain de prédilection : celui de l’émotion.

Voila pourquoi,

  • Ce matin là, la belle Ascona de Victorin Katounganwé achoppa rue Saint Angelo.  La faute à un enchevêtrement de circonstances défavorable : cabot indolent, pavé glissant, avertisseur sonore malencontreusement disposé, pneus élimés, étrier grippé, mobylette en stationnement gênant et pour finir encoignure un peu trop saillante. 

Ainsi  se termine la fugue du Ministre, du moins  en Corse.

Le lendemain matin, plusieurs quotidiens titrèrent »le Président au chevet du « ministre » ou encore « il lui rend visite à l’hôpital »

Tout est bien qui finit bien ?

Nenni!

Cela nous ne le découvrons qu’en lisant la conclusion de cet haletant  polar corse où le suspense, les renversements de situation, le sens de la dérision  et de la repartie se livrent bataille. Les révélations ultimes se retrouvent dans l’Epilogue et la Fin alternative.

L’intérêt de cette   fiction est d’avoir  esquissé avec dérision les contradictions d’une société tiraillée entre valeurs humanitaires et maîtrise des flux migratoires. Elle questionne sur le sort des migrants, poussés par des nécessités économiques ; dans une société en crise. 

Mais tout cela et mis subtilement en en adéquation avec l’actualité et les dernières « avancées » des lois sur l’immigration, notamment l’immigration choisie.

La peinture du caractère corse à travers des personnages typés tel que le Brigadier et son ami Firmin est particulièrement affinée et réaliste.

Chapeau bas au Ministre du Polar Corse, Olivier Collard qui, de main de maître,  dans cette  épopée contemporaine, où le cynisme côtoie le burlesque, a su nous conduire dans les dédales légendaires du vieux Bastia, mais surtout a su nous faire louvoyer dans les méandres tortueuses de la politique française sur l’immigration.

 

 

ANNEXES

Annexe1

Œuvres d’Olivier Collard

 Dans la Collection « Romans Policiers » :

Dans la collection « Noires de Corse » :

Dans la collection « Parchemin » :

  • Palimpsestes

  

 

 

Annexe2

Lettre à Olivier Collard

Mon cher Olivier,

C’est avec grand intérêt que j’ai lu ton roman « Le Ministre » qui m’a rappelé les souvenirs que, nous autres qui venons de contrées lointaines, avons gardé des contacts avec  les services de l’immigration et les Préfectures.

Tu as fait de très bonnes recherches ont été faites sur la politique aléatoire de l’immigration et la façon dont les fonctionnaires préfectoraux exécutent les circulaires gouvernementales.

La lourdeur des administrations et les incohérences de la politique de contrôle des flux migratoires se dévoilent nettement à travers les dialogues des personnages travaillant dans les directions et les  ministères ; et les voltefaces  des cadres de la maréchaussée obéissant à des injonctions toujours contradictoires, empêchant les agents de l’ordre d’exécuter sainement leurs tâches.

Le personnage du Ministre campe bien, - le verbe en plus-, ces étudiants qui, pour moult raisons, ne rentrent pas chez eux à la fin de leurs études, même brillantes, et se retrouvent piégés dans le statut français de « sans papiers », non  « régularisables » pour cause d’immigration maintenant « choisie », et sont recherchées par la flicaille qui veut respecter les « quotas » des expulsions et le remplissage des avions charters.

C’est surtout le ton léger que tu utilises pour aborder des sujets autrement graves qui m’ont impressionné. La truculence des dialogues est appréciable. Les séquences entre le commissaire et le brigadier, entre le Directeur de cabinet et sa secrétaire sont de véritables perles.

Et que dire de tous ces coups de théâtre qui émaillent le récit ?

Mon cher Olivier,

Tu as parlé de Victorin (c’est vrai), tu nous l’as très bien présenté (c’est vrai), ce qui nous a permis de suivre la suite du texte. Mais cela d’un point de vue purement externe, d’une manière purement fonctionnelle, comme un simple rapport, une simple fiche de police, une simple curiosité pour comprendre le récit.

Le récit aurait pu gagner en profondeur psychologique si tu t’étais penché un peu plus sur le personnage du Ministre et tout ce qui l’entoure ( son réseau d’amis et de complicité qui lui permet d’échapper aussi longtemps à la traque des archers préfectoraux, de parler librement mais clandestinement sur des chaînes de radio ou de télé, ainsi que les autres « sans papiers »dont il défend la cause et est  le porte –parole), bref l’autre côté de la scène. Le recto… ? Le verso…. ?

Daniel MATOKOT 

Daniel MATOKOT et Olivier COLLARD

 

 

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