Adama AYIKOUÉ

Professeur de Lettres,

Gestionnaire du Patrimoine Culturel

Lomé, TOGO

 

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Jean-Baptiste Tati-Loutard et l’obsession de la mort

 

À l’annonce du décès de l’écrivain congolais Jean-Baptiste Tati-Loutard survenu le 4 juillet 2009 dernier, nous avons un peu revisité sa production littéraire qui sollicite notre attention, surtout dans ce qu’il a de déictique parlant de la mort. Du coup l’on se surprend déjà feuilletant certaines de ses pages, de ses réflexions et ce, tout pâmé du "kamasutra" de sa verve où se révèle sous ses traits les plus anguleux l’épiphanie de son génie littéraire.

 

I. Une chronologie nécrologique de Jean-Baptiste Tati-Loutard

En commentant en 1974 le recueil de nouvelles de Jean–Baptiste Tati-Loutard, les Chroniques congolaises (Editions P.J. Oswald, Paris, 1974), le Professeur Théophile Obenga écrit dans sa présentation de l’ouvrage : « Il sait arracher des beautés littéraires dans le sein du chômage, de la prostitution et de la mort.»[1]

Par exemple dans la nouvelle intitulée « Dix minutes dans l’autre monde », l’auteur nous présente un hôpital où le personnage Talimbo croit sa dernière heure arrivée. Toujours dans ce registre relatif à la mort, Jean-Baptiste Tati-Loutard campe ses personnages dont les actions se déroulent dans un cimetière dans la nouvelle qui a pour titre « Le cimetière de Vxxx ».

Mais déjà en 1970 à travers le recueil de poèmes l’Envers du soleil (Editions P.J. Oswald, Paris, 1970) au titre évocateur, le poète dévoilait déjà son obsession de la mort. Le titre «Envers du soleil» fait référence à ce qui reste dans l’ombre, une opposition entre le visible et l’invisible, mieux l’imperceptible à l’instar de la mort.

Dix ans plus tard, le poète publie le recueil de poésie Dialogue des plateaux (Editions Présence Africaine, Paris, 1980) où Claude Wauthier percevait déjà « la secrète angoisse du vieillissement que l’auteur évoque, furtivement, au détour de quelques vers épars : le poète voudrait déposer dans le lit du fleuve " les salissures de l’âge″, tandis que ″ le fantôme de la mort surgit d’un bloc erratique". »[2]

 Toujours en 1980, Jean-Baptiste Tati-Loutard publie aux Présence Africaine son recueil de nouvelles Nouvelles chroniques congolaises. Ici les récits se déroulent toujours au rythme d’un voyage dans le temps comme dans la nouvelle intitulée « Le secret d’un homme » qui se construit en analepse avec la mort du personnage Ta Tchicaya, ainsi que la veillée mortuaire pendant laquelle un de ses amis raconte le secret d’une rencontre tragique entre le défunt et une jeune Sénégalaise morte en couches.

 C’est ici qu’il y a lieu de donner raison à Ange-Séverin Malanda qui a cité en 1988 dans son article «Jean-Baptiste Tati-Loutard mesures du poème et art du récit » paru dans la revue Notre Librairie consacrée à la littérature congolaise l’écrivain Jean-Baptiste Tati-Loutard pour qui, « la poésie ressemble à la mort : elle vous atteint n’importe où et n’importe quand ; elle frappe souvent au lit et sur la route : lieux où guette aussi la mort. »[3] De ce point de vue, le recueil de nouvelles de Jean-Baptiste Tati-Loutard Nouvelles chroniques congolaises (Editions Présence Africaine, Paris, 1980) reste la parfaite illustration. Ici, le vertige conduit plusieurs personnages à la mort et en fin de comptes à la tombe.

Le poète, nouvelliste et romancier congolais Jean-Baptiste Tati-Loutard lui-même confirme en 1989 dans un entretien accordé à Alain Brezault et Gérard Clavreuil que le rapport entre l’homme et le temps constitue l’un de ses thèmes favoris :

« J’ai toujours du mal à penser qu’un jour je serai rejeté du temps, que je ne verrai plus le soleil se lever ni se coucher, un peu comme André Breton disait :" J’ai du mal à imaginer qu’un jour mon cœur cessera de battre". Comme vous le savez, un écrivain essaye toujours de se délivrer de son obsession. C’est pour cela que j’ai ce rapport douloureux avec le temps et j’ai voulu le régler en essayant de voir plus clair dans mes rapports avec lui. »[4]

Il s’agit d’une fixation sur l’idée de la cessation définitive de la vie, un rapport bien douloureux avec le temps.

II.  Le récit de la Mort de Jean-Baptiste Tati-Loutard

Premier roman de Jean-Baptiste Tati-Loutard publié en 1987 aux Editions Présence Africaine, Le récit de la Mort déroute d’abord par sa titrologie. L’auteur a opté dans le titre pour la majuscule du mot « Mort », faisant de ce vocable un substantif à l’instar d’un personnage principal, dans ce cas de figure, une héroïne (la Mort) aux pouvoirs et limites incommensurables et à l’expression plurielle et protéiforme.

D’ailleurs, selon la note de l’éditeur en dernière page de couverture, c’est parce qu’il a rencontré très tôt la mort sur son chemin que Jean-Baptiste Tati-Loutard a écrit ce roman sur le thème de la mort, véritable pain quotidien de tout ce qui vit sous le soleil. C’est la preuve que la mort n’a jamais cessé d’occuper son esprit depuis sa tendre enfance jusqu’ au soir de sa vie en passant par l’âge de raison.

Dans le roman Le récit de la Mort, le héros Touazock nous raconte avec pédagogie comment la fin du vingtième siècle est marquée par les différents canaux et formes qu’emprunte la Mort : la sécheresse, la famine, la crise, les risques de la vie politique, la violence quotidienne, le sida. Ce dernier circuit en date qui est le mal du siècle vient sonner davantage le glas des humains en perpétuant l’œuvre de la Mort. Les hommes ne sont pas les seuls sur la liste : les animaux, les végétaux, voire les pays meurent. Notons la mondialisation de la mort qui n’épargne ni le Congo, ni la Haute-Volta devenue Burkina Faso, ni l’Afrique, ni les autres continents. De même, selon Jean-Baptiste Tati-Loutard, la mort se moque de l’âge, de la beauté, de l’intelligence, de la classe socio politico-économique…

En conclusion

S’il s’affirme avant tout comme un poète qu’obsède le sentiment douloureux de la fuite du temps et de l’omniprésence de la mort, sentiment que déclinent ses différentes œuvres, Jean-Baptiste Tati-Loutard a été tourmenté par la mort. Cette hantise l’a amené à poser comme un devin le thème géomantique du soir de la vie. Poète doué, il a laissé se manifester le feu sacré rimbaldien tout au long de sa vie et de sa carrière littéraire. Ne déclare-t-il pas : « la mort est un corps obscur par nature ; placée près de l’art, elle devient exceptionnellement une source lumineuse »[5] ?

 

 

Notes

 

[1]  OBENGA Théophile, « Portrait de la société congolaise», journal La Semaine, mars 1974.

[2] WAUTHIER Claude, Jeune Afrique n° 1223.

[3] TATI-LOUTARD Jean-Baptiste, « Jean-Baptiste Tati-Loutard mesures du poème et art du récit », Ange-Séverin  Malanda, Revue Notre Librairie, n° 92-96, mars-mai 1988. p. 109.

[4] TATI-LOUTARD Jean-Baptiste, Conversations congolaises, Alain Brezault et Gérald Clavreuil, l’Harmattan, Paris, 1989, pp. 98-99.

[5] TATI-LOUTARD Jean-Baptiste, « Jean-Baptiste Tati-Loutard mesures du poème et art du récit », Ange-Séverin  Malanda, Revue Notre Librairie, n° 92-96, mars-mai 1988. p. 109. 

 

 

 

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