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République du Congo - Droit de la mer



 

LA REGLEMENTATION CONGOLAISE

SUR LES ESPACES MARITIMES À FINALITES ECONOMIQUES

Justin M. DANDILA

Docteur en droit

Les pouvoirs de l'État côtier varient avec la largeur de sa mer territoriale. En ce qui concerne l'État congolais, il est tout à fait important de noter que son gouvernement s'est attribué, d'abord une mer territoriale de 15 milles, puis une mer de 30 milles avant de la fixer à 200 milles. Tous ces textes juridiques, bien que régissant les activités maritimes sur son plateau continental (PC), n'ont pas les mêmes régime et nature juridiques.

I. Les textes juridiques congolais régissant les activités maritimes sur son plateau continental

Deux points seront successivement étudiés sous ce paragraphe: le contenu de l'Ordonnance n° 21-70 du 14 juillet 1970 sur le plateau continental (A) et les compétences de l'Etat congolais sur son plateau continental (B).

A. L'Ordonnance N° 21-70 du 14 Juillet 1970 sur le plateau continental

Le plateau continental d'un Etat côtier comprend selon l'article 76 de la Convention de Montego-Bay, " les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat, jusqu'au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ".

Le gouvernement congolais, ayant porté à 30 milles marins la largeur de sa mer territoriale en 1971, avait un plateau continental dont la superficie avoisinait 9 500 Km2. Cette largeur des eaux territoriales retenue par l'Ordonnance de 1971 correspondait approximativement à la limite du plateau continental à l'isobathe de 200 mètres.

La découverte de nombreux indices de pétrole et du gisement off-shore Émeraude en 1969 n'a contribué qu'à l'extension des espaces maritimes congolais et non à celle de son plateau continental.

Bien que difficile à faire, la délimitation du plateau continental congolais n'a pas fait l'objet d'accords bilatéraux entre les pays frontaliers comme le Gabon et le Cabinda, province de l'Angola depuis 1975.

Nous pensons que, le Gabon et le Congo d'une part, et le Congo et l'Angola d'autre part, acceptent implicitement " la délimitation du plateau continental entre États limitrophes, qui doit se faire par accord entre eux, selon une ligne de partage équitable ". Le projet de la Tunisie et du Kenya précise que la ligne médiane ou équidistante n'est pas nécessairement la seule méthode de délimitation (40).

En réalité, le plateau continental entre le Congo et le Gabon et entre le Congo et l'Angola, ne pose aucun problème sur le plan de la délimitation entre les États limitrophes. La méthode de délimitation la plus simple serait le prolongement sur les espaces maritimes de leurs frontières terrestres. Le principe de l'équité entre les deux Etats limitrophes serait préférable à la méthode de l'équidistance, car celui-ci prend en compte les considérations géographiques des pays concernés.

Parmi les solutions jurisprudentielles sur le plateau continental notamment sur sa délimitation, nous citerons d'abord l'arrêt du plateau continental de la mer du Nord du 20 février 1969, opposant les Pays-Bas et le Danemark contre la République Fédérale d'Allemagne. La Cours Internationale de Justice (CIJ) conclut que l'emploi de la méthode de l'équidistance n'est pas obligatoire (41).

En effet, dès lors qu'il est établi, poursuit la cour, que la méthode de délimitation fondée sur l'équidistance n'est en aucune façon obligatoire, il cesse d'être juridiquement nécessaire de prouver l'existence de circonstances spéciales pour en justifier la non-application (42).

Dans l'affaire du plateau continental Tuniso-Libyen, la CIJ dans son arrêt du 24 février 1982, dit que la délimitation entre les deux pays doit s'opérer conformément à des principes 'équitables en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. La délimitation doit tenir compte de la côte tunisienne de RAS AdJIR à RAS KAPDUDIA et, de la côte libyenne de RAS ADJIR à RAS TADJOURA et aussi du parallèle de RAS KAPOUDIA et du méridien de RAS TADJOURA.

La cour, tout en écartant la situation géographique du Golfe de Gabes et des îles de KERKENNAH, ne se réfère pas non plus aux droits historiques, mais utilise plutôt les méthodes de géomorphologie et de géométrie.

B. Les compétences de l'État congolais sur son plateau continental

1. La naissance ipso jure des droits de l'Etat congolais sur son P.C.

La réglementation congolaise sur le plateau continental repose uniquement sur l'Ordonnance n° 21-70 du 14 juillet 1970 relative à l'exploration du plateau continental et à l'exploration de ses ressources naturelles. Ce texte qui définit les droits souverains que l'État congolais exerce sur son plateau continental, mérite d'être adapté à la Convention de Montego-Bay de 1982.

Parmi les ressources naturelles sur lesquelles l'État congolais exerce des droits souverains nous citerons l'exploration et l'exploitation du pétrole off-shore, et des poissons (espèces démersales et pélagiques).

Les pouvoirs publics congolais exercent, du moins dans ces deux domaines précités (pétrole et pêche), des pouvoirs normaux en tant qu'Etat côtier. L'article 2 de ladite ordonnance précise que " toute activité entreprise par une personne publique ou privée sur le plateau continental en vue de son exploration ou de l'exploitation de ses ressources naturelles est subordonnée à la délivrance préalable d'une autorisation ". En matière de pêche, c'est l'autorisation ou licence de pêche, et en matière pétrolière c'est le titre minier que nous développerons un peu plus loin.

La Convention de Montego-Bay de 1982 précise à son article 77 que " l'État côtier exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de l'exploration et de l'exploitation de ses ressources naturelles ." Ces droits sont exclusifs " en ce sens que si l'État côtier n'explore pas le plateau continental, ou n'en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement exprès ".

En matière de forage sur le plateau continental, l'article 81 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer reconnaît également le droit exclusif pour l'État côtier d'autoriser de réglementer les forages sur son plateau continental "quelles qu'en soient les fins".

Ces droits de l'Etat côtier sur son plateau continental sont donc détenus ipso facto, en ce sens qu'il n'a pas à exercer sa souveraineté pour que ses droits naissent. L'alinéa 3 de l'article 77 de la Convention de Montego-Bay confirme que "les droits de l'Etat côtier sur le plateau continental sont indépendants de l'occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation expresse".

Comme on le constate, la notion de souveraineté occupe une place de choix dans l'exercice des droits sur les espaces maritimes adjacents aux Etats côtiers. Le Professeur BURDEAU reconnaît que " les débats auxquels donne lieu cette notion de souveraineté passent à juste titre, parmi les plus épineux du droit public " (43).

Un large débat sur cette notion entre doctrinaires a donné naissance à une pluralité de définitions et à une richesse conceptuelle sur le plan théorique.

Le Professeur BURDEAU pense que " la souveraineté est une force qui naît de l'ensemble des circonstances historiques ou nationales où se trouve engagée la communauté politique à un moment de son existence ". Il ajoute que la souveraineté va à la force prépondérante et c'est sa qualité de ne dépendre, quant à son existence, d'aucun ordre juridique préétabli qui fait de l'État une notion exclusivement politique (44).

S'appuyant sur une analyse structuraliste, d'autres juristes pensent que "la souveraineté n'est jamais limitée par un tiers, sinon il n'y a plus de souveraineté. C'est parce qu'il est souverain que l'État limite ses compétences (45),

L'État côtier, bien que pleinement compétent pour réglementer les différentes activités sur ses espaces maritimes, peut, en revanche, être limité par les règles de DIP ; c'est en ce sens qu'il est permis de dire que la souveraineté d'un Etat s'arrête là où 'commence celle d'un autre État. .

2. La détention ipso facto des droits de l'État congolais sur son P.C.

La nouvelle Ordonnance n° 047-77 du 9 décembre 1977 qui a étendu la largeur de la mer territoriale à 200 milles marins n'a pas redéfini l'assiette spatiale sur laquelle le Congo devrait exercer ses droits finalisés. Sans doute, le plateau continental, prolongement naturel de la terre sur la mer, qui correspond approximativement à l'isobathe de 200 mètres ne s'étend que jusqu'à 30 milles marins.

La CIJ en retenant en 1969 cette définition du plateau continental, a fait de la théorie géomorphologique une notion cardinale qui était en gestation depuis l'affaire des Pêcheries Norvégiennes en 1951, où la cour appliqua le principe selon lequel " la terre domine la mer " (46).

Cette constatation débouche sur l'idée que la terre avait depuis très longtemps une influence juridique sur le prolongement terrestre. Certes, il est très tentant de chercher s'il existe des rapports entre la géologie et le droit, c'est-à-dire on se demande finalement s'il existe une théorie de fait ou de droit.

Mademoiselle LABOUZ, fait dire que le droit court toujours après le fait qu'il ne le rattrapera jamais. Elle soutient que " le droit n'est que le produit des rapports de force, et même si celui-ci s'adapte le plus souvent au fait, le dr.oit ne doit pas toujours accepter la réalité géologique car l'appréciation de la conformité du droit est toujours faite par l'État "(47).

Le développement de l'exploitation pétrolière au large des côtes congolaises ne pose pas pour le moment de problèmes particuliers entre le Congo et les pays limitrophes. La découverte d'un gisement à cheval entre deux Etats limitrophes pourrait à l'avenir poser le problème de la délimitation du plateau continental comme dans le contentieux Tuniso-Libyen dont l'argumentation était fondée sur la géologie, la physiographie et la bathymétrie.

Il serait donc souhaitable que le Congo, fixe inter partes (Gabon, Angola) dans un proche avenir les limites du plateau continental, et procède à la révision de l'Ordonnance n° 21-70 précitée devenue caduque (le pétrole ne tient pas compte des frontières étatiques dans le processus de formation). On tentera de voir si l'État a les mêmes pouvoirs dans la Zone d'exploitation économique (ZEE).

II. Régime et nature juridiques de la mer territoriale à 200 milles et les pouvoirs de l'Etat congolais sur sa nouvelle zone maritime nationale

Deux points seront abordés :

  •  Les régime et nature juridiques de la mer territoriale à 200 milles.

  •  Les pouvoirs de l'État congolais sur sa nouvelle zone maritime nationale.

A. Nature et régime juridique de la mer territoriale à 200 milles

1. Nature et régime juridiques de la mer territoriale instituée par l'Ordonnance n° 047-77 du 9 décembre 1977

L'Ordonnance n° 047-77 longuement citée, qui institue une mer territoriale de 200 milles marins mérite une analyse plus approfondie.

L'étonnante brièveté de ce texte dissimule l'intérêt, voire le caractère politique de cette extension des eaux sous juridiction congolaise. Tout d'abord, le premier des quatre articles qu'il comporte, souligne que ce nouveau texte adopté par le Comité Militaire du Parti en 1977, modifie l'article 2 de l'Ordonnance n° 26-71 précitée, qui avait, à l'époque, modifié l'article 2 de l'Ordonnance n° 22-70 du 14 juillet 1970 sur la mer territoriale.

La lecture des textes juridiques de 1971 et 1977 précités ne donne pas assez de précision, de clarté sur l'article 2 alinéa 1 qui ne parle aucunement de la mer territoriale. Ce n'est qu'en lisant l'article 2 du Titre l de l'Ordonnance n° 22-70, sur la mer territoriale, que l'on s'aperçoit qu'il s'agit bien de la mer territoriale. L'Ordonnance n° 22-70 précise bien que cette zone maritime sous juridiction' nationale s'étend au-delà de son territoire à une distance fixée à 15 milles en 1970, avant qu'elle ne soit portée à 30 milles en 1971 et à 200 milles en 1977.

Cette zone maritime de 200 milles où le Congo entend exercer sa souveraineté est assez particulière, en ce sens qu'elle s'étend au-delà des 12 milles reconnus par le droit conventionnel en gestation) et par de nombreux États en voie de développement.

D'abord, la Convention de Montego-Bay, qui reconnaît le droit à tout État côtier de fixer la largeur de sa mer territoriale, souligne à son article 3 que "cette largeur ne dépasse pas 12 milles marins mesurés à partir des lignes de base établies conformément à la Convention".

L'alinéa 2 de l'article 2 de l'Ordonnance n° 047-77 qui dispose que " cette souveraineté s'étend à l'espace aérien au-dessus de la mer territoriale ainsi qu'au lit et au sous-sol de cette mer ", confirme à nouveau la territorialité de cet espace maritime. Le propre d'un Etat côtier n'est-il pas d'exercer sa souveraineté sur l'ensemble des espaces maritimes relevant de la juridiction dudit État côtier ? Cet alinéa explique que tout ne peut se faire qu'avec l'autorisation de l'État congolais que ce soit sur l'espace aérien, au-dessus de la mer territoriale ou sous la mer territoriale, du moins théoriquement.

En outre, cette zone de 200 milles congolaise, n'est selon le texte de 1977, ni une " res nullius ", ni une " res communis ". Elle n'est pas une " res nullius ", puisqu'elle fait partie intégrante du territoire congolais et reste soumise, de ce fait, à la souveraineté de l'Etat Congolais.

Toutes les utilisations de la mer territoriale par les autres Etats doivent être "avalisées" par l'État congolais, que ce soit en matière d'exploitation pétrolière et des pêcheries, ou dans le domaine de la recherche scientifique marine.

La zone de 200 milles proclamée n'est pas non plus une " res communis " puisque les navires de commerce n'ont qu'un droit de passage qualifié d'inoffensif comme sur la mer territoriale. Cette souveraineté sur la mer territoriale, qu'exerce l'Etat côtier' sur une zone maritime s'étendant à 200 milles, entraverait le principe de la liberté de navigation pacifique, revendiqué par les grandes puissances maritimes.

En fait, l'État côtier qui détient la plénitude et l'exclusivité des compétences dans sa mer territoriale, aussi large soit-elle, doit pouvoir les exercer pour établir l'effectivité de la souveraineté.

C'est ce que soutient le professeur DE VISSCHER quand il affirme que l'effectivité, menée à terme, est l'expression d'un pouvoir étatique stabilisé dans un cadre spatial donné. Il conclut brillamment que " c'est par l'exercice que la souveraineté s'acquiert et se maintient: le non-exercice l'éteint " (49). Nous reviendrons bientôt sur l'exercice, par le Congo, de la souveraineté sur sa mer territoriale de 200 milles marins.

 

À suivre

 

(40) projet d'articles présenté par la Tunisie et le Kenya, Doc. O.N.U., A/Conf. 62/c 2/L 28. .

(41) Ph. CHAPAL ; B. JACQUIER; Le droit de la mer, documents d'études sur le DIP, la Documentation Française, Paris, 1985, p. 45.

(42) Ph. CHAPAL et B. JACQUIER, Ibidem.

(43) G. BURD EAU , L'Etat, Ed. du Seuil, Coll. Politique., Paris, 1970, pp. 62 - 63.

(44) G. BURDEAU, op. cit. p. 63. C'est une vision constitutionaliste, et non internationaliste de l'État..

(45) M.F. LABOUZ, Séminaire de droit de la mer, DEA de Droit Public, Paris X - Nanterre, 1983 - 1984.

(46) Arrêt du plateau continental de la mer du Nord, du 20 février 1969, Recueil 1969, P. 51, Paragraphe 96.

(47) J.M. DANDILA: Idées reprises dans notre mémoire de DE. de Droit Public, Option Droit international public, sur " le Congo et le droit de la mer ", Université PARIS

X - Nanterre: 1983 - 1984, P. 77 et S.

(49) Ch. DE VISSCHER, Théories et réalités en Droit international public., Paris, Ed. Pedone, 1970, p. 227.

 

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